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V13

Emmanuel Carrère


Après plus de neuf mois de chroniques dans l’Obs, Carrère et son éditeur P.O.L. profitent de la rentrée littéraire pour sortir ce récit sur le procès Historique des attentats du Vendredi 13 novembre 2015.


« On n’est si singulier et si réduit à soi que dans une société veuve du collectif et de l’Histoire. »

Qui ne se souvient pas de cette terrible soirée de l’hiver 2015? Alors qu’un match de foot France-Allemagne se disputait au Stade de France, trois commandos de la mort allaient semer la terreur dans Paris. L’un aux abords du stade, le second dans les rues du XIème arrondissement de Paris, le troisième enfin au Bataclan. Au total, 131 morts, sans compter les kamikazes qui se sont fait sauter après avoir accompli leur mission.

Tous les acteurs de ces terribles attentats, survenus quelques mois seulement après ceux de Charlie Hebdo, ne sont pas morts. Ils sont quatorze sur le banc des accusés. Du faussaire ayant fourni les fausses pièces d’identités à celui dont la ceinture n’a pas explosé.

Et les victimes par centaines, les témoins, les forces de l’ordre…


Pendant toute la durée du procès, tenu dans une salle en préfabriqué du Palais de Justice de l’Île de la Cité à Paris, Emmanuel Carrère a été là. A écouter ce qui se disait à la barre, à analyser les faits, à apprendre aussi auprès des avocats, des journalistes judiciaires, des victimes elles-mêmes. Il s’est oublié pendant plus de neuf mois pour raconter, différemment, ces audiences et ce que ce procès inspire dans les pages de l’hebdomadaire.

Toutes les semaines, en 8700 caractères, il rendait compte. Des auditions, des témoignages, des ressentis, de ce qu’il se passait dans d’autres salles aussi. Il a parlé des victimes, des accusés, des enquêteurs, des avocats, mais aussi des dessous d’une affaire comme celle-là, à savoir les conséquences psychologiques, le fond d’indemnisation des victimes, et même un Appel du procès de Carlos, le terroriste ayant fait sauter une bombe au Drugstore Publicis en 1974.


Dans cette version augmentée de ses chroniques, tout est retranscrit, retravaillé, réorganisé, de manière à ce que nous, lecteurs, spectateurs, témoins indirects de l’horreur de cette soirée assez douce pour boire et manger en terrasse, nous soyons immergés dans l’ambiance du Palais de Justice, que nous soyons concernés. Que nous rencontrions les acteurs de ce procès. Que nous nous rendions compte de la complexité d’une affaire comme celle-ci, tant dans son déroulé et son organisation que dans ses plaidoiries. Les états d’âmes que l’on peut avoir quand on voit, quand on entend, quand on ressent, à la fois la douleur du souvenir des victimes et l’incompréhension de certains accusés.


« … il est délicat de soutenir qu’on peut participer à des attentats ou à un génocide parce qu’on a bon cœur, mais parce qu’on est bon camarade, oui, ça se tient. »


Il parait que je manque complètement d’objectivité dès lors qu'il s’agit d’Emmanuel Carrère. Ce n’est pas complètement vrai. Je suis capable de dire que même si Le Royaume m’a ouvert les yeux, que Yoga m’a littéralement sauvée, il n’en reste pas moins que Limonov et Un roman Russe m’ont un poil refroidie. Il n’empêche. Pendant neuf mois, tous les jeudis, vous me trouviez penchée sur mon ordinateur, mon téléphone, ou le magazine papier dès la prise de poste. Pendant tout ce temps, ce rendez-vous hebdomadaire faisait partie de ma routine et je retrouvais les chroniques avec toujours plus d’avidité et de curiosité, pestant quand il n’y avait pas d’articles pour telle ou telle raison.

J’attendais cette version augmentée de chez P.O.L. avec une impatience palpable, et j’ai plongé la tête la première dans ce que je pensais avoir finalement déjà lu. Mais tout était comme les premières fois. Les émotions, les frissons, la peine, la colère, la réflexion aussi et surtout. La réorganisation des textes suivant aussi le découpage des audiences a donné au récit une autre dimension, un changement de point de vue bienvenu pour une meilleure analyse.

Carrère rend compte avec brio de ce qui peut se passer dans la salle d’audience, dans les têtes, dans les cœurs des protagonistes. Sa capacité à être en contact et à faire des liens donne par ailleurs l’opportunité de s’interroger avec plus de lucidité et d’objectivité sur le rôle de chacun, notamment du côté de La Défense.

C’est un travail de fourmi et on reconnaît, dans l’assiduité et le sérieux dont l’auteur a fait preuve dans ce suivi de la même pugnacité dont il a été capable lorsque, traversant mauvaise période, il avait décidé d’écrire tous les jours dans ses carnets ce que les évangiles lui inspiraient. Ces nombreux cahiers qui, retrouvés et décortiqués, ont donné lieu à ce livre extraordinaire de lucidité qu’est Le Royaume.


« C’est cela, ou cela devrait être ça, un procès : au début on dépose la souffrance, à la fin on rend la justice. »

Je ne suis peut-être pas objective dès lors qu’il s’agit d’Emmanuel Carrère. Je laisse aux autres le soin de décider. Moi je me fous de savoir si je le suis ou pas. Je retiens surtout de cette lecture que cet écrivain- journaliste-scénariste-réalisateur, homme courageux et curieux, a encore une fois réussi à me toucher, à m’apprendre beaucoup de choses, à me donner envie d’en savoir plus. Il m’a fait grandir en m’offrant une autre perspective, et pour ça, je ne peux que lui être reconnaissante.


Un jour, quand je serai grande, j’espère avoir la chance de lui dire en face : « Monsieur Carrère, peu d’écrivains m’ont autant donné à réfléchir, à m’élever, à devenir ce que je suis devenue. Merci ».





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