Abel Quentin
« Le malheur connaît des raffinements infinis. »
Elle me faisait de l’œil depuis au moins deux ans cette Sœur… nimbée de l’aura du Voyant d'Etampes, cette rencontre était chargée de promesse.
« c'est si agréable d'être complice et de s'entendre sur tout, à défaut de tout comprendre. »
Dans la Nièvre, près de Nevers, Jenny est une adolescente mal dans sa peau qui se sent en marge de ses camarades, de ses parents, de son environnement. Confinée dans sa chambre aux murs tapissés de posters d'Harry Potter, elle ne sait comment sortir de cette sale période. Avoir 15 ans, à Sucy-en-Loire, c'est très frustrant, c'est étouffant.
Et puis il y a une humiliation, des envies d'en finir avec cette petite vie étriquée et le chagrin, toujours plus envahissant. C'est alors qu'elle rencontre, par le hasard d'Internet, Dounia. Dounia est légèrement plus âgée. Dounia est de toute façon plus déter.
La jeune fille prend Jenny sous son aile, lui fait découvrir le Coran, les sourates, les Frères Musulmans. Petit à petit, la jeune adolescente Nivernaise adopte les préceptes d'une religion dont elle ne connaît pas grand chose si ce n'est que c'est grâce à elle qu'elle n'est plus seule. Elle se coule dans le moule, se couvre d'un hijab, fait la guerre à ses parents qui assistent, impuissants, à l'invasion islamiste sous leur toit en la personne de leur propre fille.
Pendant que Jenny devient Chafia et qu'elle fomente une action qui lui assurera la reconnaissance dont elle a soif, le Président de la République sortant voit son successeur se radicaliser lui aussi, pointer du doigts l'ennemi terroriste et jouer avec les peurs des citoyens, n'hésitant pas - pour les séduire et gagner leurs voix - à surfer sur la vague des amalgames trop faciles…
«Jenny puise dans la haine un peu d'énergie vitale : elle n'a pas quinze ans que l'idée de meurtre lui a déjà traversé l'esprit. »
Je ne m'attendais pas à cela. En fait, je ne m'attendais pas à grand-chose, me rendant au rendez-vous avec cette Sœur sans aucun à priori ni aucune information la concernant. Un blind-date dont je ne connaissais que l'entremetteur, l'auteur. Ce dernier, avec Le Voyant d'Etampes, m'avait déjà bluffée avec cette écriture particulièrement intelligente, parfois exigeante tant dans sa forme que dans les thèmes abordés. Ici, il s'agit de la détresse d'une jeunesse qui trouve refuge dans une religion qu'elle ne comprend pas toujours très bien. Quand on est en perte de repères et en quête d'identité, on s'accroche parfois aux premières branches qui se présentent, même si ces branches, solides, penchent dangereusement au-dessus d'un autre gouffre.
Quand la société ne fait rien pour sa jeunesse et que ses médias la condamne, il ne faut pas s'étonner qu'elle nous échappe. La mutation de Jenny en Chafia et sa détermination m'ont rappelée, à certains égards, celle de Khalil de Yasmina Khadra. Cette lecture m'a d'abord fait peur, mais elle a surtout été un rappel de l'importance de l'accompagnement, de l'écoute, de la compréhension de nos ados.
« La haine appelle la haine, les passions tristes triomphent et le pays sombre dans un climat délétère. »
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