Sébastien Dulude
« Existe-t-il une langue au monde qui possède un mot pour dire la honte fâchée, la gêne déçue, la crainte triste ? »
Steve grandit dans la petite ville de Thetford Mines, qui, comme son nom l’indique, abrite des mines. Son père conduit un camion qui transporte l’amiante d’un point A à un point B. Tous les jours, à 16h00, c’est le dynamitage, et toute la ville ressent la déflagration, se demandant ce qui va en résulter. Mais Steve s’en fout. En 1986, il a 9 ans, et son univers est centré sur son meilleur ami Charlélie. Les deux garçons se suffisent l’un à l’autre et, même si Steve apprécie le temps passé chez les parents de son copain, ils n’ont besoin de personne d’autre qu’eux deux. Cet été-là, dans la cabane qu’ils ont construite ensemble, ils lisent Tintin, mangent des gommes à la cerise, alimentent leur book de catastrophes et se découvrent aussi un peu l’un l’autre, dans l’intimité de leur cachette. C’est une amitié forte et exclusive qui ne durera que le temps de quelques mois mais laissera à Steve un sentiment d’inachevé et de culpabilité.
1991, l’enfant n’en est plus un. Seul contre son père violent, il tente de percer à jour le mystère de sa mère toujours malade et de passer le temps : cours de natation, un peu de temps avec sa nouvelle amie Cindy, de la musique… Mais les drames ne sont jamais bien loin et ne le laissent pas tranquille. Dans cette ville où tout le monde se connaît et où tout se sait, Steve doit endosser un nouveau rôle qui ne lui plait pas. Il n’a qu’une envie : fuir. Fuir la communauté, fuir la fatalité…
« Si je ne crains plus un mort, pourquoi persisterais-je à en aimer un autre ? »
Sébastien Dulude signe ici son premier roman après avoir édité des recueils de poésie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son écriture se ressent fortement de cette vocation première. Il y de la délicatesse et du lyrisme dans ce récit aux accents d’enfance et d’adolescence dans une ville vouée à la faillite. La souffrance est omniprésente et il n’y a aucun moyen de s’en protéger, si ce n’est par les rêves, et quelques petits bonheurs : un film regardé un soir avec ses parents, un après-midi dans une piscine hors-sol, un anniversaire partagé.
Et plus tard : la natation, une virée en ville, un petit tatouage, un morceau de musique… Steve ne peut de toute façon pas prétendre à plus, alors pourquoi continuer d’espérer ? Pourquoi ne peut-il s’en empêcher ? Ne peut-il se contenter de ce qu’il a ? Il serait moins malheureux s’il avait moins d’envies… Mais c’est la réalité de l’enfance (et de l’adolescence) qui est dépeinte ici : la réalité d’un gamin aux grands rêves, aux grands espoirs, au regard de ce qu’il vit au quotidien.
Il est difficile d’aller plus avant dans la restitution de cette lecture car il y a beaucoup à taire et on est aussi plus dans les émotions. Ici, on ressent Thetford Mines comme si on y était, les paysages, les odeurs, les gaz, l’ennui, les dangers aussi que nous connaissons maintenant et dont les mineurs n’avaient pas conscience alors. Comme dit plus haut, la poésie est omniprésente dans ce récit où se mêlent la fiction pure et les souvenirs de l’auteur, comme le poison de l’amiante et les affres de l’enfance. Cela requiert une réceptivité, une ouverture et une compréhension des métaphores de la poésie, ce qui fait parfois défaut. Alors on se dit que ce n’est pas grave, on va prendre le temps de réfléchir et d’y revenir, pour mieux appréhender ce tendre texte.
« J’ai l'humeur anticyclonique, comme enivré par un oxygène pur, et je ne sens pas encore le vide miner mon for. »
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