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Antkind

Charlie Kaufman

À la Fête des Mères, ma fille m’a offert un livre sur lequel j’avais craqué. Problème : c’est sur l’objet que j’avais flashé, sans même lire la quatrième de couverture. Comme je lui avais promis, je l’ai enfin lu. Et quelle aventure !

« La mémoire est imparfaite. Elle est imprécise, mais c’est le seul outil que nous ayons pour rester en contact avec le monde au fil du temps. Sans elle, la vie telle que nous la connaissons cesse d’exister. »

B. Rosenberg Rosenbergen est un éminent critique de cinéma. Il a tout vu, sept fois minimum, pour être sûr d’être bien imprégné et objectif de chaque film vu. Un jour, une commande de son éditeur le mène en Floride, à Sainte Augustina. C’est là qu’il rencontre son voisin, un vieil afro-américain, nommé Ingo. Ce dernier, très âgé, lui annonce avoir réalisé, pendant 90 ans, un film de marionnettes. Le long-métrage est en effet très long, puisqu’il faut trois mois à B pour le regarder dans son intégralité, à raison de 17 heures de visionnage par jour. Lors de la projection, au bout d’un mois environ, le réalisateur meurt, mais le critique est tellement pris par cette œuvre gargantuesque, qu’il continue et va jusqu’au bout.

Transformé par ce qu’il a découvert, il décide d'emmener les bobines, ainsi que toutes les marionnettes visibles et invisibles ayant servi au tournage, à New York, où il vit. Il est persuadé de tenir là la matière pour écrire un très grand livre.

« Starbucks, c'est du café intelligent pour gens crétins. C'est le Christopher Nolan du café. Celui de Dunkin'Donuts est bas du front, authentique. C'est le plaisir simple et concret d'un film de Judd Apatow. Pas de frime. Réel. Humain. »

Sur la route, alors qu’il s’était arrêté dans un Slammy’s pour manger un hamburger et boire un cola au nom improbable, le camion brûle. En essayant de sauver ce qu’il peut du véhicule et de ce qu’il contient, il brûle lui-même, et se retrouve plongé dans un coma de trois mois. À ce qu’il pense être son réveil, il a perdu la mémoire et va tenter le tout pour le tout pour la retrouver : il s’agit de se souvenir de chaque instant du film d’Ingo pour pouvoir en témoigner. S’ensuivent, en série, des catastrophes, des aventures, toutes plus rocambolesques les unes que les autres, toutes plus difficiles à suivre et à comprendre. On alterne sans arrêt entre le quotidien de B, et ses souvenirs, réels ou non, de ce qu’il a vu dans l'œuvre du vieil homme. On se perd, dans les méandres de la mémoire de notre héros. Au même titre que lui.

Cet énorme pavé de 660 pages a le mérite de nous aider, nous pauvres lecteurs allant de l’avant, à tout remettre en perspective. L’univers de Kaufman est délirant. Plus que ça même : il nous plonge dans des réalités parallèles, paranormales, complètement décalées, à base de robots “Trump” (rebaptisé Trompe), d’une chaîne de restauration rapide qui prend le contrôle (de la planète en général et des Etats Unis en particulier), d’une civilisation évoluant dans une grotte pareil à des fourmis, d’un monde détruit par les flammes et la cupidité des hommes.

« Le seul moment qui existe est celui que nous vivons. Le reste est rumeur et ragot. Le reste est mensonge. »

Ça aura été une lecture difficile, et à vrai dire je ne suis pas sûre d’avoir bien tout compris. Mais je pense que c’était le but de Kaufman. Quand on sait ce qu’il a fait avant, quand on connaît un peu ses films, ses scénarios, on se doute que la crédibilité n’est pas ce qu’il préfère. Il aime nous perdre, il aime nous embrouiller, il aime nous mettre à l’épreuve, dans des délires toujours plus profonds et incompréhensibles.

Bardé de références culturelles, vouant un véritable culte à Judd Apatow et Jean-Luc Godard, Kaufman est également très cinglant avec son propre travail, le jugeant et l'insultant même. Est-ce de la fausse modestie ou une réelle haine de soi ? Je penche pour un humour puisqu'il ne s'agit que de ça au final : l'humour et notre perception de celui-ci, ce sur quoi on peut, ou non, rire, ce qui est autorisé, acceptable. Le politiquement correct, la censure, le wokisme. Le cinéma doit changer, les gens doivent changer, parce que les sensibilités changent. Et avec elles, le monde entier est modifié.

Je ne peux pas dire, là tout de suite, que c’était un mauvais moment de lecture, mais je ne peux pas dire le contraire non plus. C’était une lecture mystique. J’ai la prétention d’être fière d’être allée jusqu’au bout, malgré les chemins labyrinthiques que j’ai été obligée de prendre. Je me dis aussi qu’avoir voulu le lire en étant disponible intellectuellement, c’est-à-dire sans enfant et avec le moins de contraintes possibles, était sans doute la meilleure décision que j’ai pu prendre.

Maintenant, il est temps pour moi de digérer, d’intégrer, de tout ranger, pour être plus sereine dans mon rapport à cet ovni littéraire qui restera malgré tout un grand souvenir de lecture.

« Y a pas plus important comme boulot qu'enseignant, mon ami. Le jour où on paiera nos profs comme on paie nos athlètes professionnels, on saura qu'on est une société civilisée.»


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