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Arpenter la nuit

Leila Mottley

Mieux vaut tard que jamais, dit-on, et c'est avec un temps de décalage que je me suis lancée dans les rues et la nuit d'Oakland, CA, avec la jeune Kia.


« Les gens ne croient pas en Dieu parce qu'ils ont des preuves, seulement parce qu'ils savent que rien ne peut prouver qu'ils se trompent. »

Kyara, 17 ans - presque 18 - vit seule avec son frère aîné Marcus depuis l’arrestation de leur mère. Livrés à eux-mêmes, les deux ados doivent se débrouiller pour payer leurs factures et continuer de (sur)vivre dans un appartement dénudé dont le loyer n’a de cesse d’augmenter. La gamine est forte, volontaire. Son frère beaucoup plus fantasque et rêveur : il se voit star du Rap, comme leur Oncle Ty qui a enregistré un album et réussi à Los Angeles.

Alors pendant que Marcus passe des heures dans le studio improvisé d’un copain et trempe dans divers petits trafics, Kia, elle, franchit les limites : pour gagner de l’argent, elle se vend sur le trottoir. De rencontres en clients, elle grandit plus vite qu’elle n’aurait dû et se retrouve dans des situations inextricables, impliquant d’autres prostituées, sa meilleure amie et surtout des flics pas très regardants sur le respect de la loi…

« … Ça m’arrive encore de revoir très brièvement, le frère qui aurait tout donné pour soulager ma douleur,…»

Dépassée par les événements, elle doit pourtant trouver en elle la force de continuer pour subvenir à leurs besoins, mais aussi à ceux de Trevor, son petit voisin de 9 ans dont la mère - Dee - disparaît sans laisser de traces sinon son petit garçon.

Dans les quartiers défavorisés d’Oakland (Californie), dont la réputation n’est plus à faire, on suit cette gamine de galère en galère, en se demandant quand le destin lui sourira enfin et comment elle trouve l’énergie de ne pas baisser les bras.


« Je crois que quoi qu'il y ait là-haut, ça nous rassure seulement quand il fait assez sombre pour qu'on puisse imaginer qu'il y a quelque chose au-delà.»

Il y a eu beaucoup de bruits autour de ce roman de la rentrée littéraire, écrit par une jeune auteure à peine plus âgée que son personnage. Et il est indéniable que l’écriture de ces mésaventures s’en trouve chargée d’une légèreté et d’une naïveté qui rendent les événements plus tragiques encore, malgré qu’ils soient nimbés de la lumière de l’enfance.

Leila Mottley explique, en fin de roman, qu’elle a suivi de près une affaire du genre de celle qu’elle aborde : la traite d’êtres humains par les forces de l’ordre et la difficulté d’être une jeune femme noire en pleine métamorphose aux États-Unis en général, en Californie en particulier. Quand le système ne fait plus rien pour des enfants qui se retrouvent seuls, que reste-t-il à espérer ?


La beauté de ce chemin réside dans la résilience et le courage de Kyara, dans cet amour de l’Autre qui la motive et lui permet de rester debout. Dans ce besoin aussi qu’elle a de faire confiance aux adultes, dans le souvenir qu’elle garde de son père - décédé quelques années auparavant - des bons côtés de sa maman - pour qui la mort de son mari a fait des ravages irréversibles.

Kyara est une héroïne des temps modernes. Une force de la nature qui impose le respect, l’admiration et l’empathie. Un gamine qu’on a envie de protéger et de serrer dans ses bras, mais pas trop longtemps, et pas trop fort, parce qu’elle est capable de se débrouiller, d’apprendre, de fonctionner et d’avancer.


« La chaleur s'empare de ma poitrine, et c'est comme ce qu'on raconte à propos du cœur : quand il n'est pas brisé, on peut encore avoir assez de chance pour qu'il soit plein, avec le sang qui bat. »

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