Claire Berest
"... De tout inconnu le sage se méfie."
Il y a des fois des romans qui attirent par leur couverture ou par hasard. Un nom qu'on ne connaissait pas, qu'on entend de plus en plus et qui attise la curiosité. Un auteur qu'on découvre grâce à d'autres. Claire Berest m'était inconnue jusqu'à ce que je m'intéresse d'abord à Abel Quentin et son Voyant d'Etampes puis à Anne Berest et sa Carte Postale. Claire m'est venue par le hasard du réseau.
Abel (prénom aimé, donc) est flic depuis vingt ans. Mais en début de semaine, une dénonciation anonyme à l'Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) lui a valu une suspension sans préavis, sans explication. Depuis qu'il ne travaille plus, cet homme taciturne et insomniaque tourne en rond, ne sait plus qui il est, où il va, à quoi il sert. Il marche, tentant de se perdre dans les rues de la capitale, se traite contre les poux toutes les semaines et prend soin de ses orchidées, qu'il accumule par dizaines. Jusqu'à ce que son regard se pose sur un cheval, une photo en première du journal le Parisien. Des souvenirs jaillissent, des souffrances aussi et surtout. Et des rencontres, des liens, des questions, des innovations dans sa vie jusque là sans histoire, pense-t'on.
"... Les pensées sont des chauve-souris qui tournent, sifflent et se cognent dans le clocher de la tête".
Mila est une artiste mondialement connue et pourtant complètement anonyme. C'est sous ce faux nom qu'elle organise des "happenings" artistiques un peu partout sur la planète. Elle veut garder son identité secrète mais marquer le monde comme le monde l'a marquée, le 14 juillet 2000, alors que ses parents mourraient assassinés lors d'une tuerie au bal du village. De page en page, on comprend ce qui l'a construit, ce qui l'a détruit, ce qui a fait d'elle l'artiste et la femme qu'elle est devenue : obsessionnelle, compulsive, maniaque.
Les destins, les vies d'Abel et Mila vont se croiser tout au long des chapitres et de cette semaine qui s'écoule. Ils avancent, chacun à leur rythme, chacun dans leur temps. Et pourtant on sent dès le début que quelque chose de profond, d'intime même, les lie l'un à l'autre.
Les chapitres justement, interrogent par leurs titres, qu'on ne comprend pas, au début, et puis qui prennent sens au fur et à mesure que l'intrigue prend tout son sens. Mais ne comptez pas sur moi pour en dévoiler plus.
"Certains êtres augmentent l'intensité, agissent de manière imprévue, donnent à l'oxygène une couleur inoubliable. Et nous sentons qu'ils ne le font pas exprès. Nous nous rapprochons d'eux, petitement, comme en suggestion, pour voler leur chaleur, pour exister à côté."
Avec une écriture incisive, crue, artistique, Claire Berest arrive à emporter son lecteur et à le faire sortir du temps, de l'espace. Plus rien d'autre ne compte qu'Abel et Mila, leurs histoires, leurs souffrances, leurs névroses. Les personnages secondaires sont essentiels à l'équilibre de leurs avancées et l'art, au sens large du terme, est un personnage à part entière, tout comme Paris la majestueuse. Bacheliers de l'an 2000, ils sont les enfants d'un siècle et les adultes d'un autre, navigant entre la nostalgie du premier et la peur du suivant. Ce sont des personnes dans lesquelles on est en droit de se reconnaître, et qui nous font nous interroger sur tout ce qu'il s'est passé, tout ce qui a changé depuis nos années lycées (étant moi-même une bachelière de 2000, forcément, j'ai été particulièrement touchée…)
C'est un roman qui happe, littéralement, qui ne laisse pas indifférent dans ce qu'il dénonce : le besoin de coupables, l'oubli des victimes, l'anonymat au milieu des foules…
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