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Attaquer la terre et le soleil

Mathieu Belezi

«… la justice était un mot inventé par les riches pour calmer la colère des pauvres mais, tout bien réfléchi, ça n’existait pas la justice, il fallait apprendre à vivre sans elle… »

La rentrée littéraire de l'automne 2023 a mis en lumière un auteur que je ne connaissais pas mais dont les retours m'ont interpelée. On parlait de Faulkner, on parlait d'Histoire, on parlait d'Algérie et de colonisation. Il était grand temps que je fasse la connaissance de Mathieu Belezi.

« c'était comme si chacun de nous, pauvres et naïfs apprentis colons à peine débarqués, était déjà en train de pourrir et de se décomposer. »

La prise d’Alger en 1830 a marqué le début de la colonisation de l’Algérie. Pour christianiser et civiliser cette terre, sont envoyés des colons agricoles et des soldats. Les premiers arrivent, exaltés et effrayés par ce qui les attend. Sept hectares de terrains à exploiter pour chaque famille. Mais avant de se mettre au travail, il faut apprivoiser ce nouvel environnement, ou plutôt se laisser apprivoiser par lui. La chaleur, les maladies, les rebelles… les dangers sont nombreux, comme les morts. Et malgré tout, Séraphine, son mari et leurs proches s’y mettent. Les deuils entachent leur courage mais ne l’éteignent pas complètement. Ils trouvent en eux la force de continuer. En parallèle de cette vie de misère et de chagrin dans une colonie, on suit un bataillon de soldats. Français. Eux n’ont pas peur, eux ne reculent devant rien. Ni hommes, ni femmes, ni enfants, ni même bêtes ne leur résistent. Ils tuent, massacrant, volent, violent, au nom de la France et du dieu des Chrétiens. Partout où ils passent, les soldats ne laissent que sang et chagrin. C’est un peuple entier qu’ils écrasent, torturent et tuent. C’est la pitié qu’ils foulent au pied et décapitent. Toute l’empathie que l’on peut ressentir pour Séraphine et sa famille est balayée d’un coup de main par les horreurs perpétrées par les soldats. Qu’avons-nous fait?


️« je le dis et je le répète, nous ne voulons que vous élever jusqu'à nous, que vous faire entrer dans notre monde à tous points de vue meilleur que le vôtre ! »

Nul besoin de rappeler que la mère patrie est loin d'être d'une blancheur immaculée quand on regarde dans le rétroviseur de l'Histoire. Et notamment dans l'histoire coloniale. Dix ans après la prise d'Alger, le pays est aux mains de la France qui compte bien faire plier cette nation d'indigènes, de force plus de que de gré. Les généraux mac Mahon et compagnie ne s'en laissent pas conter, il faut faire plier, cette terre sera à nous. Mathieu Bélézi dresse un portrait sans filtre de cette colonisation. La violence est présente dans chaque page de ce court roman. Pas de place pour les bons sentiments. Et même lorsqu'un mariage est célébré, on retient son souffle, on s'attend à quelque drame, parce que les drames, c'est ce qui jalonne la vie des colons. On pourrait avoir envie de s'apitoyer sur cette femme et sa famille, mais on n'en a pas le temps, pas l'opportunité, parce qu'en réponse aux malheurs qu'elle vit, il y a ceux qui sont infligés par les militaires, les soldats. Ceux-là même qui se repaissent de la violence qu'ils infligent. Ceux-là même qui tuent ou laissent mourir sans empathie, sans sourciller. Ce roman dévoile ce qui doit l'être mais en même temps ce qu'on préfèrerait ne pas savoir, parce que ce n'est jamais agréable de voir ses mauvaises actions pointées du doigts de la sorte. En même temps, il apporte un éclairage sur cette relation d'amour-haine qui unit la France et l'Algérie. On comprend la colère, la rancœur. 130 ans d'oppression, c'est long, très long, trop long. 150 pages c'est court, très court, trop court. Mais bien assez pour mettre en lumière les barbares, les vrais...


️« La France a pour mission divine de pacifier vos terres de barbarie, d’offrir à vos cervelles incultes les ors d’une culture millénaire ! Que ça vous plaise ou non ! Et ceux qui refusent notre main tendue seront renversés, écrasés, hachés menu par le fer de nos sabres et de nos baïonnettes ! »

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