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Ces féroces soldats

Joël Egloff

« il n’était pas plus allemand que français, ni plus français qu'allemand, ni l’un ni l’autre, d’ailleurs, et les deux à la fois, sûrement. »

L’Alsace Lorraine a toujours eu un statut à part, sorte de no man’s land avec une identité particulière. Une identité déchirée par le changement incessant de nationalité entre 1870 et 1945. Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, la Moselle est française. On apprend la Marseillaise et les fables de la Fontaine à l’école. Mais très rapidement, le drapeau change. L’armée allemande arrive et reprend ce qu’elle estime lui appartenir. Les habitants commencent par fuir à l’Ouest. Le père de Joël, à qui s’adresse ce récit, arrive en Poitou. ll a 13 ans alors, il est loin de la guerre et des combats. En 1940, retour au village, à l’Est. Retour à l’Allemagne donc. C’est en 1943 que l’ordre de mobilisation arrive. Pas le choix, il faut rejoindre Munich et se battre contre la France. Contre son propre pays. 

C’est alors une autre vision de la guerre que l’auteur nous propose, celle des Malgré-Nous, ces jeunes hommes nés français, annexés par l’Allemagne et engagés de force contre leur nation. A partir des bribes de souvenirs racontés par son père, de la mémoire de sa mère qui a elle aussi vécu ce changement d’identité et la perte de repères associée, mais également des recherches qu’il a pu faire sur le sujet, Joël raconte la réalité de l’Alsace-Lorraine en général et de son père en particulier, de ce jeune homme qu’a été son père, de cette jeune fille qu’a été sa mère, de leur guerre, de leurs fuites, de leurs peurs et de leur conviction profonde que pour survivre, mieux valait se taire et obéir. 


« C’est ainsi que la guerre se vit lorsqu’on n’est qu’un pion sur l’échiquier (...).  Tout se passe ici et maintenant. Chacun tente de sauver sa peau et c’est déjà beaucoup. »

On a lu, beaucoup, tellement, sur la Seconde Guerre Mondiale. On ne sort jamais vraiment de cette fascination un peu morbide pour cette histoire pas si lointaine, on croit savoir, on croit être incollable ; après tout on a lu Berest et Nohant, entre autres. Même Merle avec “La mort est mon métier” ou “Les bienveillantes” de Littell. Et puis on tombe sur ce court récit de Joël Egloff dans lequel il s’adresse à feu son papa et qui retrace son parcours de 1939 à 1945, en Moselle, et à travers lui, c’est l’Histoire de tout un territoire que l’on découvre. 

Rédigé à l’adresse de son père, ce récit revient sur les souvenirs d’enfant de l’auteur et sur ce qu’il a entendu dire depuis qu’il était petit. Les comportements inexpliqués de son père avaient une justification, que ce dernier ne donnait pas toujours. Alors Joël a interrogé sa mémoire mais aussi celle de sa maman, a fouillé dans la maison pour retrouver des traces du passé et s’est beaucoup documenté sur ceux que l’on appelait les Malgré Nous, ces soldats enrôlés de force chez les Allemands alors qu’ils étaient nés Français. Ces gamins qui, s’ils désertaient, mettaient toute leur famille en danger. Ces habitants tellement tiraillés entre deux pays, ne sachant plus auquel ils appartenaient vraiment, qu’ils se réfugiaient dans le village, le patois propre à leur région, mélange de deux cultures, de deux pays, mais propre à eux seuls. 

Ce texte est chargé d’enseignements mais aussi et surtout d’amour et d’admiration d’un fils envers son père. Aussi beau et puissant que “La Volonté” de Marc Dugain, il apporte une lumière sur un point mal connu de cette put*** de guerre qui a vu plus de 130 000 enfants français partir se battre contre leur pays, leur drapeau, leur famille. 

Une ode au courage et à l’abnégation de ce père qui n’a peut-être pas toujours été tendre, mais qui avait tellement enduré, qu’on peut facilement lui pardonner sa peur des feux d’artifices et son désintérêt pour les films de guerre…


« On parvient à s’émouvoir, à compatir tant qu’on est humain, mais cela ne dure qu’un temps, puis un jour, on ne s’émeut plus de rien. Alors on est un vrai guerrier. »

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