Grégoire Bouillier
« Chacun cache un méchant diable qui, né d’une souffrance personnelle (...) n’attend que l’occasion de parler à notre place …»
Décembre 2018. La France est en colère, les mesures économiques prises par le gouvernement fraîchement élu font descendre les gens dans la rue. Plusieurs fois de suite. L’acte III a lieu le 8 décembre. Et l’auteur de décider de se rendre compte par lui-même des événements, des mouvements, de la colère.
Avec un ami photographe, il se rend sur place, observe, marche, et tente une analyse de ce qu’il a sous les yeux. Avec le style qui lui est propre et son habituelle fantaisie, il fait des rapprochements, des liens, des rapprochements. Et il a mal aux pieds, ce qui n’arrange rien.
A la fin de cette journée, il prend une photo, et de cette photo, il tirera une analyse très fine de la situation, une symbolique forte du pouvoir, de l’illusion et de la manipulation de ceux d’en bas par ceux d’en haut, qui ne sont pas - si j’ai bien compris - ceux qui sont élus mais ceux qui ont l’argent, à savoir les banques.
Cette journée l’a chamboulé. Profondément. Si bien que, dans la nuit du 9 au 10 décembre, le narrateur fait un rêve puissant et déstabilisant, un rêve dont il se rappelle chaque instant et qu’il se donne pour mission de nous relater, dans son style narratif le sien, avec ses délires et ses lubies les siens.
Un grand château, des gens masqués, du sexe, des smoking, Michel Galabru, sa compagne… et un réveil sur une phrase qui, sur le coup, n’est pas compréhensible mais, passée au crible comme il sait si bien le faire, va le/ nous renvoyer à une réalité pas très glorieuse de la société d’aujourdhui.
«… les présidents passent, à chaque fois élus, et ce sont toujours les mêmes qui l’ont dans l’os. »
Là, voilà, du Bouillier, du vrai. A partir de ses observations sur la journée du 8 décembre 2018, dans la foule des gilets jaunes, d’Oberkampf aux Champs Elysées, l’auteur nous livre le fond de sa pensée sur ce mouvement qui a mis à mal les instances, les décideurs, les puissants, bousculés par le peuple. Un esprit révolutionnaire régnait sur la France à cette période et c’est toute la puissance de révolte réfléchie qui est traduite là. Il n’y a pas de jugement sur le gouvernement, ni sur les mesures prises, non. Juste un constat que les français en avaient marre et qu’ils voulaient que cela se sache. Photographie d’un mouvement de foule en colère, tentative de compréhension, proposition d’analyse, et une photo. Une photo qui, à elle seule, en dit plus long que les 60 pages qui la précèdent. Photo qui révèle toute l’ironie d’une époque, d’un système ultra-capitaliste dans lequel les publicitaires et les banques volent au peuple leur slogan et leurs idées.
Chamboulement dans la tête de Bouillier, aka Charlot. Et rêve. Décousu mais rafistolé par la trame littéraire pour une meilleure compréhension du bordel qui règne dans l’inconscient du narrateur. Allégorie de la journée du 8 décembre et de ce qu’il a compris du mouvement et, comme c’est Bouillier, un peu de sexe, un peu de cinéma, un peu de musique pour accompagner tout cela. A contre-temps, après s’être dit qu’il fallait mettre tout ça par écrit, comme à son habitude, il tire sur un fil, sur un nom, et un raisonnement tiré par les cheveux (sic) en découle. Mais qui tient, parce que c’est toute la force et l’intelligence de l’auteur : ça paraît bancal de prime abord, mais ça tient. Comme la mort dans les nymphéas, la mère dans l’amour, l’art dans une rupture, la solitude, la faim, Dallas, Zorro et les coquillages de la page de Plurien.
Bref, j’ai retrouvé dans ces 120 pages la plume que j’aime, l’analyse alambiquée et les délires qui me font retomber sur des pieds (pas douloureux les miens). Parenthèse avant de le rencontrer en vrai, pour pouvoir dire, fièrement, ça y est, j’ai lu tout Bouillier (et j’ai aimé !)
« Tout le monde se fiche des rêves des autres. Ils nous embarrassent plutôt. C’est comme les opinions : elles donnent envie de se boucher les oreilles.»
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