Eli Cranor
« A trop réfléchir, on ne gagnait rien de bon, sinon des réponses. »
A Taggard, Arkansas, Jeremiah vit avec sa petite fille Jo dans la casse qu’il gère. L’adolescente est la rédemption du vieil homme dont le fils est en prison pour meurtre et la femme décédée. Malgré ses blessures et ses fêlures, Jerry a tout donné pour que la gamine ait tout ce qu’elle mérite, qu’elle n’ait pas à porter le poids des erreurs de ses parents.
Le soir du Homecoming du lycée (événement traditionnel célébrant le retour des anciens élèves) , elle espère être élue reine de l'établissement mais le titre lui est ravi par une autre, moins populaire mais au passif moins lourd. Coup dur ? Non, Jo n’en a cure. Ce soir, elle a décidé de sortir et de profiter. Elle a prévu de passer le cap avec Colt, son petit ami de deux ans son cadet, quaterback de l’équipe de football.
Pendant ce temps, la famille Ledford fomente sa vengeance. Dix-huit ans après la mort du fils aîné et la destruction du laboratoire de fabrication de meth, le père Bunn est devenu chef de la section locale du KKK et Evail, le fils cadet,, après avoir purgé une courte peine de prison, est revenu changé et décidé à rétablir sa justice. Au cœur de son projet, la jeune Jo et un trafic inavouable avec des mexicains qui, contre des femmes, sont prêts à sortir la came qui permettra de rallier les paumés du coin au Klan.
Pendant que Mona, la shérif de la ville, tente de découvrir ce qu’il se trame et ce qu’il est advenu de Jo, Jeremiah et Colt mènent leur enquête de leur côté, animés par l’amour de la même personne. Tandis que le grand-père puise son énergie dans l’alcool et ses souvenirs du Viet-nâm, le gamin tente de se racheter, persuadé de sa part de culpabilité. Les secrets, si bien cachés jusqu’alors, vont exploser au grand jour et leur revenir en boomerang.
« On est tous accros à quelque chose et les bonnes causes ne font plus autant recette qu’avant. »
Il est extrêmement difficile d’être clair sans trop divulguer de ce roman aux multiples facettes et rebondissements. On peut cependant se pencher sur le cadre : Eli Cranor offre un paysage méconnu des Etats-Unis, que l’on ne connaît que trop peu. Dans cet environnement hostile, où la fermeture de la centrale a fait grimper le chomage en flèche, les idées ultraconservatrices font rage : suprémacisme, homophobie, peine de mort, interdiction de l’avortement (même en cas de viol ou d’inceste). On est en droit de se poser la question de savoir si cet état fait réellement partie du pays le plus important du monde.
A l’image de David Joy ou de Pete Fromm et leurs plongées dans l’Amérique profonde, Cranor nous immerge dans une ville où le pire peut advenir et où chacun pense pouvoir se rendre justice soi-même. Un endroit où détenir des armes est la norme, où le shérif tente de maintenir un semblant d’ordre, où le trafic de drogues fait rage et qui n’est épargné ni par la violence, ni par la prostitution et encore moins par la haine.
« Ces balles que tu as tirées, elles ont aussi fait un trou dans ma vie. Pas un jour ne passe sans que je porte le fardeau de ce que tu as fait. »
L’intrigue est particulièrement bien ficelée car même les retours en arrière, loin de nous embrouiller, donnent à ce roman une profondeur nimbée de violence : que ce soit ce qu’a vécu Jeremiah au Viet-nam ou le drame qui a frappé son fils 17 ans auparavant, on ressent avec lui ainsi qu’avec Colt et Jo, la marque indélébile du passé sur le présent et ses conséquences sur un éventuel futur. On n’échappe pas à ses actes, encore moins dans des bleds aussi arriérés que Taggard, Arkansas.
Des personnages tourmentés, une nature sauvage, des idéaux radicaux et, au milieu de tout ça, forcément, l’amour. Celui du grand-père pour sa petite fille, celui d’une adolescente pour son père incarcéré, celui d’un jeune athlète pour sa petite amie, celui d’une mère pour sa famille, aussi imparfaites soient-elles.
Un grand roman qui se vit et se vibre, qui ne nous lâche pas et nous interroge sur ce que l’on serait prêt à faire pour ceux qu'on aime.
« Le passé saignait le présent, un peu plus chaque minute. »
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