Stéphane Carlier
« Proust, ce n'est pas difficile, c'est différent. »
Des semaines que je pensais à ce roman dont on m’avait dit le plus grand bien et à cet auteur avec lequel j’ai eu la chance de passer un petit moment. Quand j’ai vu passer Clara devant moi, je n’ai pas hésité un instant, je me suis lancée !
« Ça dit que l'amour, c'est pas un truc qui nous tombe dessus, comme ça, mais qu'on décide d'aimer. Qu'on décide d'aimer ce qu'on n'a pas, parce qu'on l'a pas. »
Clara est coiffeuse. Elle a 23 ans, est en couple avec JB depuis un peu plus de trois ans et, si elle ne peut pas dire qu’elle est malheureuse, elle se sent tout de même étrangère à cette routine qui s’est instaurée comme étant sa vie : salon du mardi au samedi, repas chez ses parents le dimanche, soirée tranquille devant la télé.
Un jour, un client de passage oublie son exemplaire du premier tome de La recherche. Du côté de chez Swann. Qu’est-ce que c’est que ce titre là ? Clara connaît Proust de nom, comme tout le monde, mais ça s’arrête là. Coiffeuse, elle ne se sent pas de se confronter à ce monument de la littérature intelligente. Il se passe plusieurs semaines avant que la curiosité et l’ennui fassent leur chemin et l’invitent dans les pages et les souvenirs de Marcel. C’est alors une révélation. Après un début fastidieux, elle se fait petit à petit au rythme, à la construction, à l’écriture de Proust. Elle y va doucement, pour bien s’imprégner des mots, des sensations. Et cette lecture va peu à peu poser sur son quotidien un voile. Ou plutôt non, elle va lever le voile. Lever les yeux de Clara sur la morosité de sa vie, lever l’ennui de son couple de vieux (alors que JB et elle sont tous jeunes), relever aussi et surtout l’estime que Clara a d’elle-même. Sa vraie vie change au fur et à mesure qu’elle avance dans les pages de la saga, elle prend une autre direction, permet des rencontres, des réflexions, des prises de risques. Marcel Proust offre à Clara une nouvelle existence, sans qu’aucun des deux ne s’en rende compte.
« À la lecture de ces pages, quelque chose d'un peu magique s'est passé qui, pour la première fois, lui a laissé penser que les livres pouvaient être meilleurs que la vie. »
Je n’ai personnellement jamais lu Proust. Comme Clara, j’en ai beaucoup entendu parlé, dans tous les sens, sur tous les tons. Mais là, j’ai envie. Je n’ai pas envie de changer de vie, mais envie de découvrir, de goûter au plaisir que Clara a ressenti en découvrant l’épisode de la madeleine ou la rencontre avec Odette. J’ai envie de faire la connaissance de Swann, des Guermantes, de la grand-mère. Parce qu'au-delà d’une révélation faite à soi-même (Clara se découvre, s’ouvre et s’épanouit grâce à l'œuvre de Marcel), ce roman est avant tout une grande déclaration d’amour à la littérature. Ici, c’est La recherche, mais ça aurait pu être n’importe quel classique, je pense. J’ai été émue avec l’héroïne, j’ai vibré, j’ai été impatiente, je me suis surprise. Je me suis souvenue de l’émotion qu’a été pour moi la découverte d’Alexandre Dumas, il y a quatre ans.
Stéphane Carlier a une écriture fluide et facile à aborder, qui dédiabolise Proust et nous le rend non seulement sympathique mais - plus encore - tentant. On sent, à travers le personnage de Clara, que c’est lui qui a aimé et a été transporté, et il trouve les bons mots pour que nous osions franchir le pas. Parce que c’est aussi de cela dont il s’agit : certains auteurs revêtent une aura telle qu’ils font peur, qu’on a l’impression qu’on n’est pas assez bien, pas assez intelligent, pas assez disponible pour les lire. Mais à travers Clara, l’auteur dédramatise : prends le temps, tout ton temps. Laisse toi porter par la sagesse, la plume, les sensations, les émotions, les souvenirs. Laisse toi une chance d’apprécier, et si tu n’essaies pas, tu ne sauras jamais que tu aimes. Un vrai beau roman que ce Clara lit Proust, une déclaration d’amour et un remerciement à la littérature, à la lecture, qui nous ouvre, nous épanouit, nous fait voyager et nous révèle à nous même…
« On prend généralement pour argent comptant la version de la réalité qu’on nous présente en premier (...) et, ce faisant, on vit la vie imparfaite et frustrante de quelqu’un qui ne nous ressemble que de loin.
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