La lecture n'est pas un plaisir égoïste, je l'ai déjà dit. Elle peut être l'occasion de belles rencontres.

J'ai précédemment évoqué le fait que je fais partie de plusieurs groupes de lecteurs, notamment sur Facebook. Vivant avec des non lecteurs convaincus, ces échanges avec d'autres personnes partageant les mêmes (ou pas) centres d'intérêt que moi est un plaisir. Que dis-je un plaisir ? non, une nécessité.
On trouve de tout, partout. Des lecteurs du dimanche, des lecteurs de polars, des lecteurs de classiques. Des lecteurs fermés, des lecteurs curieux. Des lecteurs qui ne savent pas écrire, mais qui tentent le coup quand même, juste pour le plaisir de partager leurs coups de cœur. Il y a aussi ceux que l'on tente de fuir car ils sont assez négatifs mais qu'on croise et retrouve dans plusieurs groupes virtuels, zut. Mais on s'y intéresse quand même parce que ce qu'ils ont à exprimer peut nous aider à construire un argumentaire et peut-être même, des fois, à voir les choses sous un autre angle.
“La lecture est une amitié.” M. Proust

Et puis il y a des Rencontres avec un grand R.
Avant de travailler à la bibliothèque, j'étais formatrice en insertion professionnelle. A ce titre, je rencontrais beaucoup de monde, tout le temps. Pendant dix ans, j'ai croisé je pense des centaines de personnes, et je dois avouer que ce contact là, c'est aussi ce qui me plaisait dans mon métier. Faire connaissance, accompagner, aider. Parfois même se lier d'amitié.
Je n'avais pas mis alors la lecture au centre de ma carrière, même si elle constituait déjà un pilier de mon équilibre personnel. Entre les livres qui divertissent et ceux qui soignent, ils prenaient déjà beaucoup de place mais... Maintenant, c'est mon métier, en plus d’être mon hobbie. Il y a des fois où la frustration me gagne : je ne peux pas tout lire, je n'aime pas les mêmes choses que les autres, je n'ai pas toutes les références. Mais c'est aussi là que tout prend une nouvelle direction. J'ai évoqué la question de l'humilité et l'importance d'accepter ses failles, qui ne sont pas des manquements. Il faut ajouter à cela que c'est par l'interaction et l'écoute active que le champ de compétences s'élargit. Non, je ne lis pas et je ne connais pas les livres de Marie-Bernadette Dupuy. Mais parce que je lis les retours et écoute les habituées de la bibliothèque, je sais que cette auteure pourra plaire à telle autre.
“La lecture agrandit l'âme, et un ami éclairé la console.” Voltaire

Il y a aussi les personnes avec lesquelles on se découvre, vraiment, grâce aux livres et à la lecture, oui, mais pas que. En ce qui me concerne, il ne s'agit pas seulement de distraction, vous l'avez compris depuis le temps, mais aussi et surtout d'un merveilleux canal d'apprentissage. Je n'aime pas tout, mais je ne ferme plus de porte (celle de la SF n'est cependant qu'entrouverte car j'ai vraiment du mal).
Une des choses que j'apprécie le plus, c'est cela : l'échange, la rencontre, la naissance d'un lien qui peut s'avérer très fort, très puissant, avec une autre personne. Mes meilleures amies sont de grandes lectrices, ne sommes-nous pas devenues amies grâce à cela ? C'est un peu réducteur mais cela joue, on ne peut pas le nier !
Il se développe un réconfort extrême dans cette connexion entre lecteurs, connexion virtuelle pour ce que j'ai en tête au moment où j’écris ces lignes, c'est vrai, mais non moins précieuse. Comme dit plus haut, je vis avec trois non-lecteurs acharnés. Avec qui partager ? Avec qui parler? de quoi parler (c'est parfois une grande source de chagrin) ? Ces personnes, que je ne connais pas mais avec lesquelles j'ai des conversations passionnées et passionnantes, par écrit la plupart du temps, sont des "amis", dans le sens où même si je ne les vois pas, que je ne sais pas la tête qu'ils ont ou l'endroit où ils habitent, le nombre d'enfants qu'ils ont, leur métier... je sais qu'ils ont, comme moi, ce besoin de partager sur la lecture et sur ce qu'ils sentent et ressentent. Même celui qui n'est pas toujours positif dans ses retours : nous partageons le besoin de partage, de dialogue, d'interlocuteurs.
“Sans lecteur, l’écrivain ne vit.” M. Hounton

Et il y a encore une autre chose. je vous préviens de suite, c’est à ce moment là que mon côté adolescente groupie ressort. Les réseaux sociaux ont un côté magique : ils permettent de casser la frontière qu’il peut exister entre les Auteurs, les “stars” des librairies et les lecteurs. Maintenant, grâce à Instagram ou Facebook, pour ne citer que ces deux-là, on a la chance de pouvoir avoir un contact direct, une rencontre virtuelle avec certains de ceux qui nous font rêver, aimer, voyager, réfléchir. Certaines superstars ont bien sûr des Community Manager qui gâchent un peu le contact mais beaucoup n’en n’ont pas et sont non seulement disponibles mais également en demande de ces retours que nous pouvons leur faire. Ils sont prêts à répondre à un message, à une question. Ils tirent un avantage, je n’en doute pas, et peuvent goûter, par ces nouveaux outils, une certaine notoriété, mais pas que. Lorsqu’un écrivain prend le temps de répondre à un lecteur, il se crée quelque chose, qui va au-delà de la rencontre : c’est une reconnaissance du professionnel mais également du lecteur. Après tout, même le plus talentueux d’entre eux n’en serait pas là s’il n’y avait pas des gens pour le lire, l’acheter, le promouvoir parfois même. C’est un bonheur d’avoir, si ce n’est une vraie relation du moins une connexion avec ceux que l’on lit. La rencontre c’est aussi ça, et c’est tout autant précieux que le reste. Spéciale dédicace ici à Nicolas Mathieu, Pierre Lemaître, Laurent Malot, Cécile Coulon et les autres (Pierre Lemaitre et Emmanuel Carrère, si vous me lisez un jour, sachez que mon rêve, c’est une rencontre en vrai… je lance une invitation, on ne sait jamais, je suis très optimiste!!)
“L’écrivain est celui qui pense à ses lecteurs, même posthumes”. L. Girouard

Je savoure chaque jour d'ouverture de la bibliothèque comme une opportunité de revoir les habitués qui me parleront de littérature soviétique ou les nouveaux arrivants qui n'ont pas le moral et cherchent un moyen de se changer les idées. J'apprécie de faire des suggestions et des nouvelles découvertes, de plus en plus nombreuses, de plus en plus riches, de plus en plus tout court. Je me projette dans l'idée que ce qui m'a sauvé peut en aider d'autres et que je pourrais être le liant. Je me réjouis de pouvoir en parler avec des personnes ouvertes à tout cela, ces inconnus qui savent ce qu'est la Bibliothérapie et qui participent à l'émulsion de mes idées et de mes projets.
A tous ces lecteurs, connus et inconnus, réels et virtuels, sympathiques ou antipathiques, je dis merci. Merci de ces échanges, de ces divergences, de ces convergences, de ces dialogues, de cette communauté.
“Cette frontière-là, entre les lecteurs et les autres, est plus fermée encore que celle de l’argent. Celui qui est sans argent manque de tout. Celui qui est sans lecture manque du manque.” C. Bobin
