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De nos blessures un royaume

Gaëlle Josse


« Oubliez moi, un peu, j’ai quelque chose à faire maintenant et je dois le faire seule.»

C’est la fin d’un cycle de 5 représentations. Agnès a porté ce projet, ces participants, à bout de bras, à bout de forces. Et ce soir, elle est au bout de tout, alors elle décide de partir. Elle a vu qu’un musée avait ouvert ses portes à Zagreb, The Museum of broken Relationships. Elle se dit que c'est l'endroit idéal pour aller déposer le livre fétiche de Guillaume. 

Pour ce faire, elle va traverser l’Europe : train, car, bus, taxi… éterniser au maximum le trajet, ne pas arriver trop vite au point de séparation, histoire de savourer encore la présence de l’objet, de Guillaume, de l’histoire racontée par Julien sur Emma et Madeleine. 

Prendre son temps, c’est aussi (re)découvrir, se souvenir, se blesser, se guérir. Tout ce dont Agnès a besoin pour avancer malgré le chagrin, le manque, la nostalgie. Grâce à ce qu’elle voit, elle se remémore cet amour de la danse d’abord, de Guillaume ensuite et la violence de la séparation, sur un lit d’hôpital, où le livre à la couverture verte a accompagné leurs derniers moments ensemble. 

Comment continuer à vivre quand on a perdu une partie de soi ? La motivation de continuer, sa raison de se lever, de se battre, d’y croire et d’avancer ? Ce sont toutes les questions que se pose Agnès au fur et à mesure que les kilomètres défilent, que les paysages et les villes s’explorent, jusqu’aux destinations de ces deux voyages : celui du corps et celui du cœur. 


« Je ne veux pas ajouter mon souffle, mon haleine, mon poids, mes pas à un monde clos, saturé, qui s’enivre de lui-même et prostitue ses merveilles. »

Gaëlle Josse est de ces auteures que je préfère presque écouter que lire. Je suis désolée de le dire ainsi mais c’est pourtant vrai. J’ai été transportée par ses mots, sa voix, sa sensibilité et sa façon de parler de son roman lors d’une rencontre, tant et si bien que j’ai presque été déçue de ne pas être autant émue à la lecture, exactement la même sensation ressentie avec “A quoi songent-ils ceux que le sommeil fuit?” l’an dernier. 

Ceci étant, cela reste un beau moment de lecture, avec une écriture portant en elle la force et la délicatesse de la danseuse, de l’émerveillement et du deuil. Cette alternance qu’il y a entre le parcours d’Agnès sans Guillaume et celui de Julien avec sa fille Emma donne au récit un côté clair obscur absolument délicieux, alternant entre la peine la plus profonde et l’espoir le plus grand. Ce chemin que parcourt la narratrice de Paris à Zagreb en passant par Nice, Milan ou Trieste est un chemin de croix, pendant lequel elle est seule avec elle-même, avec ses pensées et ses souvenirs, son sac à dos, sa vieille valise et le livre de Guillaume. Un temps à elle pour penser à tout ce qu’elle est, tout ce qu’elle a réalisé, tout ce qu’elle a manqué. 

Un temps pour revenir en arrière, comme elle prendrait de l’élan pour mieux avancer, même si elle ne s’en rend pas compte dans l’instant, occupée qu’elle est à être triste. 

Car c’est aussi cela ce roman : l’acceptation du chagrin, l’accueil de la peine, le refus de continuer à faire semblant d’aller bien, de profiter, de simuler. J’ai reconnu dans ces pages cette nécessité de comprendre sa tristesse, de lui laisser la place nécessaire, de la laisser nous envahir sans lutter pour qu’elle puisse repartir comme la vague qui nous submerge et ne nous noie que si l’on lutte contre elle.

Un roman tout en délicatesse donc, et une mise en abîme merveilleuse avec ce livre dans le livre, comme un plongeon dans un amour encore plus puissant que celui d’Agnès pour Guillaume.  


« Je ne sais maintenant s’il faut réaliser ses rêves, au risque de voir le réel les pulvériser en mille pièces tranchantes, ou demeurer dans un désir inassouvi, bercé d’imaginaire. »

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