Elin Cullhed

« Je devais être la garante de l’éternelle renaissance de notre foyer.»
Dans le Devon des années 60, la jeune Sylvia a emménagé dans une grande maison, un ancien presbytère, avec son poète de mari - Ted Hughes- sa toute petite fille Frieda et son ventre plein de son prochain enfant. Elle a quitté Boston, aux Etats-Unis, par amour pour Ted. Elle a quitté sa mère, restée au pays, ses amis. Mis de côté ses ambitions d’écrivaine pour devenir celle que son mari voulait qu’elle soit : une femme belle, féconde, dévouée. Mais intelligente aussi. Intellectuellement stimulante, mais pas trop. Parce que l’artiste de la famille, c’est lui.
Dévorée par ce qu’elle est en train de devenir contre son gré, tentant de se convaincre qu’elle est ce qu’elle doit être, épouse et mère, au détriment de sa poésie et de son écriture, Sylvia sombre peu à peu, s’enfonçant dans la dépression à mesure que son ventre grossit et que son mari s’éloigne.
Elle dépérit dans cette campagne, ne comprend pas la vie qui l’entoure, ne sait plus quelle attitude adopter et quand. Ne se sent à sa place nulle part et jamais. De trop. Elle puise dans ses enfants et leur amour inconditionnel la force de continuer mais même cela lui demande un effort immense.
Tout la renvoie à ses pires craintes : la déception et l’abandon des autres, être seule, être enchaînée, ne plus savoir qui elle est et où aller sans celui qui l’a épousée après seulement trois mois et l’a arrachée à ses racines, sa famille, son avenir. Si Ted n’est plus là, qui est Sylvia ? Quelle est sa place ? Son rôle ? Son futur ?...
« Nos coeurs battent dans la même maison mais nous ne nous voyons pas.»
Sylvia Plath est un nom que l’on connaît sans vraiment savoir à quoi il correspond. Il évoque la poésie, certes, mais pour ceux qui, comme moi, ne sont pas très poètes, ça ne parle pas plus que ça. Alors ce premier roman de l’auteure suédoise Cullhed était une occasion de faire connaissance avec celle qui s’est suicidée en 1963, laissant derrière elle une œuvre qui fait beaucoup parler et deux enfants en bas âge.
J’ai feuilleté quelques poèmes de la jeune américaine, pour me rendre compte. Je ne suis certes pas la mieux placée pour en juger, mais sa plume était belle et délicate, autant que torturée et triste. C’est la même mélancolie que l’auteure a mis dans cette fiction librement inspirée de la vie de l’artiste. On sent la désespérance de celle qui a renoncé à tout pour un homme qui ne le méritait finalement pas. On sent la frustration de devoir mettre son intellect de côté au profit des basses besognes ménagères propres aux mères au foyer. On sent le besoin de faire naître son art comme elle a fait naître ses enfants.
J’ai été heurtée et tourmentée par ces mots et ces formulations qui laissent parfaitement transparaître la souffrance mélancolique de Sylvia Plath. J'ai parfois été perdue et même agacée, en colère. Avant de me souvenir que l’amour nous fait quelquefois faire des choses stupides et nous pousse à nous mettre des œillères pour nous cacher à nous même l’ampleur des dégâts que l’on se fait subir à soi-même…
Le destin de cette femme, de la manière dont Elin Cullhed le raconte, n’a pas été sans me rappeler celui d’Amy Winehouse, les enfants en plus. La dépendance affective, le besoin de l’Autre pour combler un vide en soi, pour se rassurer aussi sur sa valeur propre et son utilité dans le monde. Et quand l’autre nous quitte, à quoi bon continuer ? Même avec une liste de choses qui nous poussent à ne pas mettre fin à nos jours, on ne voit pas l’intérêt de vivre si l’autre n’est pas là pour partager notre vie. Triste destin que celui de ces femmes qui ne savent pas comment se passer des hommes. Triste roman qui nous rappelle que nous ne sommes pas à l’abri de l’amour fou, au sens strict du terme.
« Voilà comment on était aimée en profondeur : on attendait son heure, (...) on trouvait des façons d’essayer de s’aimer soi-même. »
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