Anne-Sophie Kalbfleisch
« Toutes les histoires ont deux débuts. Visible et invisible, comme une jeune pousse qui avant de percer la terre y germe en secret. »
C'est la fin des années 90, dans une petite ville paumée des Etats-Unis, pas très loin de Louisville, entre désert et champs de maïs. Ellie et May oublient leurs problèmes et noient leur(s) ennui(s) dans le Bourbon, testant les limites de leurs corps pour se sentir en vie. Ellie aime May plus que l’inverse. D’ailleurs, un jour, la jeune femme, tout juste majeure, décide de partir, de quitter Ellie et Eureka. Coup de tête, coup au cœur pour Ellie qui ne comprend rien et va se mettre en tête d’aller à la recherche de son amie, quoi qu’il lui en coûte.
Sa mère étant morte, seule l’éducation de son père a compté. Une éducation à la dure, à base d'Évangiles et de coups. Ellie ne doit pas suivre les traces de sa mère, cette folle qu’Astor a fini par tuer par amour sur son lit d’hôpital psychiatrique, tentant de faire passer le meurtre pour un suicide. Mais c’était sans compter Céleste, femme de ménage qui entretenait un lien particulier, proche de l’amitié avec Eleanor. Ellie, dans sa quête d’un moyen pour retrouver May, va se retrouver à travailler dans l'hôpital où, quelques années plus tôt, sa mère a été tuée par son père. Cet hôpital est la propriété d’un homme puissant, Cecil Meyer, dont les vices ne sont plus à prouver. May, de son côté, a fui Eureka et Cecil (mais on ne sait pas pourquoi). Elle veut absolument être engagée par une association qui lutte en mer pour la sauvegarde des baleines.
Les trajectoires de ces deux jeunes personnes sont racontées en parallèle, à la lumière de ce que vit May et de ce que raconte Ellie à un inspecteur venu l’interroger à propos d’un terrible accident, avec une petite touche de ce que Céleste se rappelle de ses contacts avec Eleanor, la mère d’Ellie.
Trois lignes donc, mais pas droites pour un sou. Des trajectoires semées de violences, de maltraitances et de courage. Une part de flou et de mystère qui englobe particulièrement Ellie et qui interroge sur ce personnage qui refuse de mentir, même quand sa vie est en danger…
« Le véritable Je t’aime est une incantation qui me libère en même temps que l’autre. »
Je suis bien consciente que le retour ci-dessus est loin d’être clair, mais à vrai dire, je ne peux pas donner plus d’infos sans prendre le risque de gâcher votre lecture. L’auteure nous positionne dans un univers que l’on pense reconnaître sans pouvoir le situer exactement, avec comme seule indication les champs de maïs, le désert et le nom d’une ville connue, Louisville (Kentucky?) L’incertitude plane sur ces personnages et les situations qu’ils traversent, les identités qu’ils ont. Personne n’est qui il semble être, tout le monde a ses secrets et petit à petit, ces derniers sont dévoilés, en partie.
Dès le début, on sait que quelque chose de grave est arrivé, puisque l’inspecteur s’est donné beaucoup de mal pour retrouver Ellie, on ne sait pas quoi et on ne sait pas pourquoi. Tout ce que l’on sait, c’est qu’à partir de cette rencontre, Ellie va remonter le fil du temps et raconter au policier ce qui a été (sur)vécu, subi, fui… Son récit du passé et à la première personne alterne avec celui au présent de May, qui est partie sauver les baleines, croit elle. Et quelques fois des extraits datés de la fin des années 1980 à propos de Céleste et sa rencontre avec Eleanor.
Forcément, tout est lié, on le sait mais on ignore comment la tresse va se former, ce qui constitue, en plus d’une plume acérée et délicate, le plaisir de la lecture.
Pour un premier roman, c’est franchement bon. On a la satisfaction d’avoir accompagné des personnes qui en avait besoin, d’avoir lu un roman qui nous apprend beaucoup sur l'hypocrisie et la bêtise de certains américains tellement aveuglés par leur foi qu’ils la détournent en violence contre leurs familles, sans prendre la peine de réfléchir et de prendre du recul sur les écritures et les situations. On sent que l’écrivaine, Belge, connaît bien le sujet de la ruralité américaine, l’amérique conservatrice, ancrée dans la religion et qui vote Trump. Une amérique qui pense prendre soin de ses enfants en les gavant de préceptes dépassés qui ne les protègent de rien, surtout pas du pire. Un grand premier roman.
« … quand la promesse de guérison est rompue, il est là le pire. Dans cette promesse d’amour rompue. »
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