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Frakas

Thomas Cantaloube

« Sache, mon jeune ami, qu’une torche braquée sur le passé éclaire le présent et dégage les ombres de l’avenir! »

Quelques mois après le massacre qui a sali Paris par la funeste nuit du 17 octobre 1961, on retrouve Luc Blanchard dans les rues de la capitale. Il mène l’enquête. Mais il ne porte plus sa carte tricolore. Les trafics d’influence auxquels il a été confronté sous Papon l’ont dégoûté et c’est maintenant en tant que journaliste qu’il mène ses investigations. Sur une idée, une intuition, il va dans une direction ou dans une autre. Et c’est ainsi qu’il décide de se pencher sur la question du Cameroun et de son indépendance soi-disant pacifiste. A la lecture d’un livre, il découvre un organisme terroriste, la Main Rouge, qui a œuvré pour que les colonies retrouvent leur liberté, et pas toujours de la manière la plus pacifiste. Il questionne, interroge, ne lâche rien, quitte à se prendre quelques coups.

De son côté, le Corse Antoine Lucchesi coule des jours tranquilles à Marseille. Avec sa compagne Maria, il tient un bistrot loin des magouilles du passé. Ou pas. Parce qu’il a toujours des contacts et le tempérament du gentil truand, il continue à transporter des produits de contrebande, sur un petit bateau. Il est aidé dans sa tâche par Alphonse, son commis de cuisine, Camerounais, engagé dans la lutte pour l’indépendance.

Un réseau de circonstances vont entraîner Luc et Antoine à Yaoundé : Luc mène l’enquête, Antoine doit récupérer son ami et un document essentiel à sa survie et à celle des siens. Par un jeu de coïncidences, ils vont se trouver au même endroit, au même moment, à mener le même combat… Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises dans ce pays inconnu ou le blanc est forcément synonyme d’oppression !


« Si ton ami compte pour toi, tu dois emprunter tous les chemins pour le retrouver. Il n'y a pas de fausses pistes, il n'y a que des mauvais chasseurs. »

Après les révélations sur les magouilles politiques et anti-algériennes entre 1959 et 1961, Thomas Cantaloube revient avec une deuxième enquête, dans l’immédiat après Requiem. Le Cameroun vient d’obtenir son indépendance. Sur le papier. Et à quel prix ! La France s’est peut-être engagée à aider le pays à être autonome, elle n’en est pas moins le mentor, et pas de la manière la plus douce. Consciente de la richesse de son ancienne colonie, la République Française continue ses exactions, ses tortures et ses trafics. Tout pour empêcher les Camerounais d’être libres de disposer de leurs terres et de leurs ressources.

C’est un portrait cinglant de cette époque et une lumière crue, aveuglante, sur les relations entre ces deux pays au début des années 1960. Cantaloube n’y va pas de main morte pour dénoncer le comportement pitoyable que notre pays a adopté. Un versant de l’Histoire dont on ne se vante pas, forcément, mais qui se doit d’être connu.

Moins contemporaines que ce qui a découlé de la guerre d’Algérie, les conséquences des actes de la France dans ce pays lointain sont désastreuses. On s'est comportés comme des parents castrateurs qui ne veulent pas voir leur enfant grandir et prendre leur envol, pour ne pas perdre une part sur les impôts. La métaphore peut faire sourire, mais le fait est que c’est de cela qu’il s’agit : la France allait forcément être moins riche et moins puissante sans la main d'œuvre et les ressources de ses colonies en général, du Cameroun en particulier. Alors l’indépendance, oui, mais pas n’importe comment !

L’écriture journalistique de l’auteur, ses personnages, ses intrusions dans la réalité et le portrait qu’il fait d’un temps et d’un pays font de Frakas un très bon roman, à la fois dépaysant et pédagogique. Mais aussi affligeant. Il est temps que la septième puissance mondiale regarde ce qu’elle a fait et assume son passé sanglant !


« Ce n'est pas en travestissant les mots qu'on écrit la véritable histoire. Si l'on ne nomme pas les choses correctement, on rédige des fables. »

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