Gaël Faye
« Les civils ne savent pas que la paix n’est qu’une guerre suspendue.»
Milan a 12 ans en 1994. Entre ses parents, depuis son appartement de Versailles, il voit au journal télévisé les horreurs du génocide Rwandais. Il attend de sa mère une réaction, des commentaires, elle qui vient de Kigali. Mais rien. Il respecte ce silence mais cela lui pèse. Et puis il y a Claude, qui débarque un jour chez eux. Avec sa balafre et son mutisme, il est laissé en garde à la famille, le temps d’être soigné. Le temps aussi que Milan se réjouisse d’avoir un petit frère à protéger. Quand l’enfant est renvoyé chez lui sans explication, cela marque une rupture entre le fils et sa mère.
1998. Milan a 16 ans. Ses parents divorcent. Sa mère part au Rwanda. Il l’accompagne. Il fait la connaissance de sa grand-mère et retrouve Claude. Il découvre un pays, un peuple encore meurtri par ses récentes blessures. Chez une amie de sa mère, Euséphie, il y a aussi ce bébé, Stella, âgée de quelques jours seulement. Et dans le regard de cette dernière, il y a une étincelle, un feu qui enflamme l’adolescent.
Les années passent et Milan entretient toujours plus intensément son lien avec le pays de sa mère. Étudiant en droit, il retourne au Rwanda pour assister aux tribunaux populaires mis en place pour juger et condamner les assassins de guerre. Claude y sera confronté à ceux qui ont tué toute sa famille et l’ont laissé pour mort. Ce à quoi Milan assiste le laisse abasourdi, il est trop tôt, la réconciliation n’est pas encore de mise, les plaies sont toujours infectées.
2010. Milan touche un héritage qui lui permet de plaquer son boulot et de reprendre la route du Rwanda. Il ne reviendra plus en France. Sur ces terres, dans ces misères et ces espoirs, au milieu de cette jeunesse tournée vers l’avenir et des rescapés qui veulent absolument éviter qu’on oublie, il se fait une place, celle du témoin, celle du soutien. Auprès de Stella, il redécouvre l’histoire du pays, des ethnies et les erreurs commises par les européens colonisateurs, erreurs qui ont conduit aux massacres de 199, 1973 et 1994. Et plus il en sait sur le passé de ses amis et de sa famille, plus il est difficile pour lui de pardonner à sa mère qui ne lui a jamais rien livré de son histoire à elle.
Confronté aux souvenirs des autres et aux conséquences sur la génération suivante, il veut connaître son passé pour pouvoir se construire et se projeter. Le secret est un poison qui gangrène toute une génération.
« L’hôpital est un bateau qui recueille l’humanité du fond du gouffre,(...) les déserteurs de la grande comédie humaine. »
Après nous avoir fait vivre le génocide de l’intérieur (du Burundi) avec Petit Pays, Gaël Faye nous dépeint l’après ces terribles évènements qui ont coûté la vie à environ 800 000 personnes entre avril et juin 1994.
Il est assez compliqué de résumer ce roman qui court sur plusieurs décennies et remonte encore bien plus loin dans le passé. Il commence avec l’hospitalisation d’une jeune femme de 21 ans, née 4 ans après le génocide de 1994. Et tout le récit mène à comprendre comment Stella, mais également Milan qui lui était en France pendant les évènements, ont été fortement impactés par ce qu’ont vécu leurs familles. Le traumatisme intergénérationnel est au cœur de ce roman, en cela que Gaël Faye explique que les silences, les non-dits, les secrets gardés sur les horreurs vécues finissent toujours par remonter, être dévoilés, et par atteindre les enfants. Ceux des victimes, bien sûr, mais également ceux des bourreaux.
Ces considérations m’ont énormément émue, confirmant si besoin était que le devoir de mémoire est indispensable. Ne nous leurrons pas, des horreurs seront de nouveau commises et les guerres ne s’arrêtent jamais, mais il est essentiel que nous n’oubliions pas : des milliers de morts, de rescapés, de familles endeuillées, de chagrins inconsolés et inconsolables.
L’écriture de Gaël Faye est musicale, rythmée, à la fois simple et puissante. Les phrases vont droit au but, nous faisant ressentir ce que Milan ressent au fur et à mesure de ses découvertes, de ses rencontres, des révélations qui lui sont faites. Il est désarçonné, nous le sommes avec lui. Il est émerveillé, nous nous émerveillons avec lui. Il est dépité, déçu, triste, dégoûté, apeuré… tout ça nous le ressentons avec lui au fur et à mesure qu’il grandit et qu’il évolue avec et dans le pays de sa mère, sans savoir ce qu’elle y a vécu et subi.
C’est un roman très fort qu’il faut lire pour se souvenir et sensibiliser, pour comprendre et soutenir ceux qui restent, ceux qui n’ont pas assisté mais qui ont à supporter, tout de même, trente ans après, les conséquences de ce génocide. Les mêmes qui, pour beaucoup, agissent vers une réconciliation et un vivre ensemble malgré tout.
« L’indicible ce n’est pas la violence du génocide, c’est la force des survivants à poursuivre leur existence malgré tout. »
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