Le goût de la lecture, ça se nourrit.
Plus on l'alimente, plus il grandit.
En prendre soin, c'est prendre soin de soi.
"Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe". Jules Renard
Un jour, j’ai été au collège. C’était il y a longtemps peuvent dire certains. C’était hier diraient d’autres. Tout n’est qu’une question de perspectives.
Mais ce qu’on retiendra, c’est qu’il y a suffisamment longtemps pour que les écrans ne soient pas encore présents partout, tout le temps. Les téléphones portables se contentaient de téléphoner et étaient réservés aux professionnels. Bref, je n’en avais pas, normal.
Mais ce que j’avais par contre, c’était pas mal de temps de transport. Presque une heure le matin, pareil le soir. Dans le RER A, en début de ligne, j’avais souvent de la place assise, ce qui me permettait de me poser tranquillement.
J’avais une autre chance : de supers professeurs de français. Ça peut paraître anecdotique et sans importance mais ça en avait, déjà à l’époque et encore maintenant, des années plus tard, je me rends compte de tout ce que je dois à ces enseignants, notamment celui de Troisième. Il avait décelé quelque chose en moi, la possibilité d’allumer la flamme de la littérature. Le feu ne s’est pas éteint car il l’a nourri. Très rapidement, il s’est rendu compte de mon rythme de lecture, de ma curiosité et de ma boulimie.
Ça a commencé en douceur, avec le programme. Et puis il y a eu une dictée. Un texte tiré de Thérèse Desqueyroux de François Mauriac. Quand j’ai demandé, après la dictée, si j’avais le droit de lire le roman, Monsieur Lanfranchi a senti qu’il y avait quelque chose. Il a été le premier à me dire que je n’avais pas besoin d’autorisation pour lire (au grand désespoir de mes parents qui ont dû nourrir cette envie et des profs qui ont suivi en essayant de freiner mes ambitions).
Après Mauriac, c’est parti dans tous les sens : Robert Merle, Stephen King, Charlotte Brontë… Romans sociaux, romans d’horreurs, romans historiques, romans classiques. Tout ce qui me passait sous la main me passait sous les yeux. Même Nicole De Buron ! J’avais été piquée, irrécupérable de l’avis des scientifiques qui tentaient de me faire avaler les systèmes d’équations et autres théorèmes mathématiques.
J’ai lu pour échapper à la réalité, à une santé un peu fragile, à l’ennui.
J’ai lu pour passer le temps, pour apprendre, pour grandir.
J’ai lu pour échanger, pour créer du lien, pour communiquer. Mais avec qui… le plus souvent avec mes parents, assez peu avec mes amis pour qui le livre n’était qu’une contrainte scolaire.
Au lycée, je me souviens de m’être ennuyée avec Rousseau et d’avoir vibré avec Queneau. Je me souviens aussi d’avoir été rebelle et curieuse. En seconde, m’étant trompée dans le titre d’un roman, j’avais dit vouloir lire Le choix de Sophie au lieu du Monde de Sophie. Désarroi de l’enseignante. Maman convoquée : je ne lisais pas des ouvrages adaptés à mon âge. Ma mère de rétorquer qu’au moins, je lisais. Et de m’offrir le roman de Styron que j’ai dévoré, contrairement à celui de Gaarder qui, pour le coup, était plus compliqué que ce que je pensais, du haut de mes 16 ans (faudrait peut-être que je songe à le finir maintenant !).
Après le bac, toujours beaucoup de temps de transport mais l’arrivée de l’informatique et d’une vie sociale et étudiante a un peu diminué ma faim de lecture. Chassez le naturel, il revient au galop, et j’avais de toute façon toujours un roman en cours, c’est juste que j’y allais plus doucement.
Et c’est à ce moment-là que j’ai fait la rencontre du polar. Un copain de copain a fait l’entremetteur entre Jean-Christophe Grangé et moi. La rencontre a été tellement puissante qu’on ne s’est plus quittés, lui et moi. Tous ses romans sont dans ma bibliothèque. Grangé a été celui qui m’a ouvert sur un autre monde, une autre écriture. Ayant délaissé les romans d’horreurs de Stephen King après la grosse frayeur provoquée par la lecture de Ça, je m’en étais détournée et bien que friande de sensations fortes, je ne voulais plus de monstres, plus de fantastique. Alors le polar, c’était une autre façon de frissonner sans être terrifiée.
Dans les années qui ont suivi, pas un seul des romans de JC Grangé ne m’a échappé. Chaque sortie était jour de fête et même parfois, occasion de me remettre dans la lecture. Car comme on dit que l’appétit vient en mangeant, on aime lire en lisant (on ne le dit peut-être pas mais j’en suis persuadée !).
"Dans un bon roman policier rien n'est perdu, il n'y a pas de phrases ni de mots qui ne soient pas significatifs." Paul Auster
De mes années étudiantes, je garde peu de lectures fortes, en dehors de cet auteur donc, et de Beigbeder qui a eu le malheur de me dévoiler les dessous du monde des agences de publicité au moment où j'embrassais un cursus de concepteur-rédacteur en école de communication. Il m’a fait peur ce con, avec ses 99 Francs, mais force a été de constater que ce qu’il décrit dans ce livre est malheureusement vrai et ça a été pour moi un révélateur : au-delà de la fiction, il y a aussi les témoignages, les récits. S’en est suivi une période sous le signe des histoires vécues, à commencer par Jamais sans ma fille de Betty Mahmoody et Prisonnière de Malika Oufkir. Autant les romans m’ont permis de nouer un lien fort avec mon papa, autant les récits m’ont offert une nouvelle connexion avec ma maman. C’est aussi elle qui m’a présenté Boris Vian (dont j’aurais porté le prénom si j’avais été un garçon) et Romain Gary (qui partage le prénom de mon frère aîné, comme quoi la grande littérature a sa place dans ma famille !).
Papa et maman ont toujours encouragé ce besoin, ce goût, même lorsque ça devenait un peu chiant pour eux de m’entendre palabrer des heures durant sur ce que je découvrais au fur et à mesure de mes lectures. Papa parle encore de ma période La mort est mon métier avec force humour et un peu de fierté, évoquant les matinées où je le débrieffais de ce que j’avais appris la veille… Mais ça a surtout été une façon d’être ensemble, et ça, j’en suis reconnaissante et heureuse. Aujourd’hui encore d’ailleurs.
"Lire n'est pas nécessaire pour le corps (cela peut même se révéler nocif), seul l'oxygène l'est. Mais un bon livre oxygène l'esprit." Dany Laferrière
Là où je veux en venir, c’est que chaque roman, chaque livre est une rencontre, une découverte, un bouquet d’émotions et un outil de connexion, en plus d’un moyen d’évasion. Bien sûr, cela demande du temps, de la concentration parfois et un entourage compréhensif, mais c’est tellement fort, riche et puissant ! On fait le tour du monde avec Jules Vernes, on reste dans un sous-sol avec Dostoïevski. On découvre les mille magies de la mousse d’arbre avec Elizabeth Gilbert et l’histoire des Tudor avec Philippa Gregory.
On a tous nos chouchous, nos auteurs préférés, ceux qu’on ne lâche jamais, malgré quelques bas. Il y a aussi ceux qui nous déçoivent tellement qu’arrêter de les lire, c’est un peu comme rompre avec un amour. J’ai eu quelques ruptures douloureuses : Levy, Bussi, Musso, Nothomb… mais j’ai aussi eu ceux qui, malgré les coups durs et les mauvais passages, ont réussi à me reconquérir : Carrère, Lemaître, Grangé… Je ne reviendrai pas sur mon amour pour Lemaitre parce que je veux vous épargner une énième déclaration d’amour à celui qui porte si bien son nom. Je peux par contre vous parler des cadeaux qu’il m’a fait lui aussi : dans Travail Soigné, il m’a invité à aller à la rencontre d’Emile Gaboriau. Dans la Grande Librairie, il m’a fait découvrir Olivier Norek. Olivier Norek qui lui-même m’a encouragée à découvrir Minier.
Vous voyez, tout n’est qu’une question de liens, de connexions. Quand on aime, quand on reste ouvert à l'inconnu et qu’on accueille ce dont on nous parle et les goûts différents des nôtres, de nouveaux univers s’ouvrent, s’offrent à nous, et on n’est jamais à l’abri d’un nouveau coup de foudre. Parce que s’il y a bien un domaine dans lequel la polygamie (ou le polyamour, appelez ça comme vous voulez) est acceptable, c’est bien dans celui des arts en général et de la littérature en particulier. Je peux faire se côtoyer Yasmina Khadra et Stephen King dans ma bibliothèque, ma liseuse et mon cœur (sauf que dans mon cœur, les auteurs ne sont pas triés par ordre alphabétique). Je peux aimer Liane Moriarty pour sa légèreté et Jean d’Ormesson pour sa sagesse.
"La lecture est une porte ouverte sur un monde enchanté". François Mauriac
Il y a tant d’histoires écrites et à écrire, tant d’aventures vécues et à vivre, tant de récits à lire et à inventer qu’on n’en aura jamais fait le tour et c’est sans doute ça qui est à la fois frustrant et grisant. Le champ des possibles est infini, les opportunités de voyage sans limites. Ne vous ai-je pas déjà raconté comment j'avais fait le tour du monde pendant les confinements de 2020 ?
Il y a les coups de cœur, les coups de gueule. Il y a ce que l’on aime, ce que l’on n’aime pas. Il y a ceux qu’on veut offrir et ceux qu’on veut garder pour soi, égoïstement. Il y a ceux qui soignent et ceux qui remuent, qui interrogent et qui bousculent. Quelquefois aussi, il y a ceux qui aident à prendre des décisions difficiles mais indispensables, tel Paolo Coelho et son Adultère. De toutes les façons, c’est toujours et avant tout une question d’émotions.
Réfléchissez bien : au-delà de ce que cela raconte, on se souvient surtout de ce que l’on a ressenti. La peur, la colère, la joie. Comme un film, mais en faisant travailler un tout petit peu plus son imagination, on retient de ce qu’on lit principalement ce que l’on a ressenti. Et ce que l’on a fait de ces sensations et de ces émotions.
Je lis pour échapper à la réalité, à une santé un peu fragile, à la routine.
Je lis pour m’évader du temps, pour apprendre, pour continuer de grandir.
Je lis pour échanger, pour créer du lien, pour communiquer.
Mais avec qui… ? Avec vous…
"La littérature est le chant du cœur du peuple et le peuple est l'âme de la littérature." Jiang Zilong
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