Richard Wagamese
« Le mystère nous remplit de crainte et d’émerveillement, ce sont les fondements de l’humilité, et l’humilité (...) est le fondement de tout apprentissage. »
Saul est un améridien Ojibwé, né dans le grand nord canadien dans les années 1950. Jusqu’à cet hiver de 1960 qui l’a vu traverser de grands espaces avec sa grand-mère, il avait toujours vécu dans sa famille, selon les rites de sa tribu natale. Il savait, bien évidemment, que les blancs pouvaient l’emmener à tout moment. Et c’est effectivement ce qu’il s’est passé. Mais dans le pensionnat où il a été envoyé, il découvre le hockey sur glace. Accompagné par le père … il s’entraîne et améliore son jeu. Il s’impose un entraînement et une rigueur qui lui permettront non seulement de supporter les difficultés de la vie dans cet internat qui tente d’annihiler son identité indienne mais de devenir le meilleur joueur de l’équipe, de se faire remarquer par un entraîneur et de quitter le lieu des souffrances.
Il grandit, joue ; joue et grandit. Il vieillit. Il s’’endurcit. Excellent joueur, il va gravir les échelons jusqu’à ce qu’on lui rappelle que le hockey est et doit rester un jeu (de) blanc. Malmené par ses coéquipiers aussi bien que par les adversaires, de vieux démons s’emparent de lui : rage, violence, alcool. Il se rend compte qu’il n’y a pas de place pour lui sur la glace, quels que soient les efforts fournis, quelle que soit l’abnégation dont il fait preuve. Il ne sera jamais qu’un indien.
Hospitalisé après une attaque dûe à l’abus d’alcool, il revient sur son parcours, raconte ce qu’il a vécu de meilleur comme de pire, en tant qu’Ojibwé, qu’enfant déplacé, que joueur de hockey, qu’adulte repoussé. Il se souvient et décide de devenir maître de son destin, de reprendre le pouvoir sur sa vie.
« être quelqu’un que l’on n’est pas est souvent plus facile que vivre sa propre vie. »
Second roman que je lis de l’auteur canadien (après “Les étoiles s’éteignent à l’aube”), j’ai une nouvelle fois été portée par cette plume et la force des mots pour parler de la condition des Amérindiens, de l’importance de l’identité, de la violence du racisme. Ce qui m’a surprise, c’est d’être tant aspirée sur la glace, dans l’univers du Hockey. Moi qui suis complètement fermée au sport sous toutes ses formes, je me suis passionnée par les entraînements, les actions, les matchs, les sensations décrites par le narrateur. C’est aussi à ça qu’on reconnaît un bon écrivain : faire oublier au lecteur qu’il n’aime pas quelque chose et réussir à l’embarquer !
C’est aussi et surtout une dénonciation de tout ce que les blancs ont commis sur les communautés autochtones, arrachant les enfants à leurs familles et leurs foyers pour les laver de leur identité, leurs racines, leurs croyances. Un projecteur à la lumière cruelle et aveuglante sur les (très) mauvais traitements, le manque de charité, de considération pour ces enfants dont le seul crime était de ne pas être blanc, justement. Saul est confronté à tout cela : l’arrachement, les sévices, les punitions, l’acharnement, et puis le sport, enfin… mais cette fuite au plus profond de la pratique du hockey cache quelque chose, et c’est la force de Wagamese de nous décrire la descente aux enfers de son héros, sa confrontation avec le Mal extérieur et ce qui le ronge de l’intérieur.
Un magnifique roman que je recommande chaudement, même si (et surtout en fait) comme moi, vous n’aimez pas le sport. Une leçon d’Histoire, d’espoir et de courage. Une leçon d’humanité.
« Les gens attribuent bien trop d’importance aux mots. Parfois, c’est mieux de rester assis, sans plus. Pour à nouveau s’habituer les uns aux autres, en quelque sorte. »
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