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Journal d'un scénario

Fabcaro

« Abandonnons aux autres le bas administratif, ne laissons pas le trivial parasiter le beau. »

Boris est scénariste. Il a écrit un chef d'œuvre, une histoire d’amour poétique et délicate qu’il verrait bien interprétée par Louis Garrel et Mélanie Thierry. Il est heureux, fier de lui, et confiant lorsqu’il le propose à un producteur en vue. Ce dernier est dithyrambique, c’est la substantifique moëlle d’un trésor cinématographique ! 

Lors d’une soirée, Boris rencontre Aurélie, une professeure d’université, passionnée de cinéma. Il ne résiste pas à l’envie de lui faire part de son travail en cours et elle s’emballe, quel magnifique projet ! Et Louis Garrel est tellement talentueux ! 

Au fur et à mesure des étapes de vie de son scénario, Boris les narre dans un journal, pour garder une trace. Chabloz réussit à organiser des rendez-vous avec d’autres producteurs, financiers, qui, petit à petit, vont se mettre à accompagner Boris dans la transformation de sa matière. Louis Garrel ? Moui, peut-être, mais Kad Merad a un potentiel tellement énorme ! Et Pourquoi ne pas remplacer Mélanie Thierry par un autre acteur ? Comme ça, on transforme une histoire d’amour banale en magnifique amitié entre deux hommes, non ? Et puis ce serait dommage de ne pas profiter de l’aura humoristique de ces deux têtes d’affiches, n’est-ce pas ? 

De rendez-vous en mails, le scénariste se voit petit à petit dépossédé de son manuscrit, tout en maintenant l’illusion auprès de son amoureuse qui voit déjà en lui un nouveau Leos Carax et fantasme sur le couple inédit qu’il voulait porter à l’écran. Des mensonges pour protéger son idylle, son meilleur ami, le fils de ce dernier, et sa réputation auprès de l’organisateur d’un petit festival de cinéma. Toujours plus de non-dits et de lâcheté qui vont entraîner le script dans la spirale du nanar et son auteur dans un tourbillon de malentendus. Ou quand l’industrie du cinéma transforme tout ce qu’elle touche en fiasco…


« Un artisan est quelqu’un qui fait ce qu’il sait faire, un artiste est quelqu’un qui fait ce qu’il ne sait pas faire.»

Premier roman que je lis de Fabcaro et je suis un peu décontenancée. La sensation d’avoir été forcée, comme Boris, à aller là où je ne voulais pas, sans avoir le courage ou la possibilité de dire stop. Quelle merveilleuse capacité à impliquer son lecteur ! J’avais envie de voir ce film d’amour avec Garrel et Thierry, je me prenais à rêver de ce casting, de cette œuvre pleine de beauté et d’émotions. Et puis, comme Boris, je me suis trouvée entraînée dans les propositions de changement et j’ai vu apparaître sous mes yeux apeurés un monstre, constitué de tout ce que je déteste : de l’humour potache, des acteurs vieillots mais rigolos, des prouts et des aliens. Et je me suis dit : quoi ? Ça le monde du cinéma ? Ça le travail de scénariste ? Ça les contraintes liées à l’argent ? 

C’est drôle et désespérant, tout comme cette histoire d’amour qui nait, se déploie et s’épanouit entre Boris et Aurélie, mais conditionnée par l’oeuvre que le scénariste continue de faire vivre auprès de sa belle, incapable de lui avouer que rien n’est plus conforme à ce qu’il avait prévu. En même temps qu’il n’ose pas dire à ce professeur d’université qu’il ne connaît pas personnellement les acteurs et au fils de son meilleur ami que ses propositions d’affiche, en plus d’être moches, ne collent plus du tout aux modifications apportées au script. 

Un regard acerbe, acide et assez drôle sur un homme que l’on dépossède de son travail et qui, par lâcheté, laisse faire, quand il n'accompagne pas au changement… Du courage, de la franchise, de la pugnacité, voici ce qu’il aurait fallu à Boris. Mais cela aurait été beaucoup moins drôle à lire ! Un façon légère (et du coup bienvenue, après Dalva) de finir l’année de lecture 2024…


« Voilà quelque temps que la cohérence n’habite plus dans le coin.»

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