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Kérozène

Adeline Dieudonné

« Mourir, disparaître, peu importe, ce qui la terrifie c'est que ça se passe sans amour. »

Un soir d’été, 23h12, quelque part en Belgique. Une station service.

On se demande ce qu’il va se passer. On s’interroge sur ces personnes qui se retrouvent là, dans la nuit. De la jeune mannequin terrorisée par les dauphins au couple (lui gynécologue maniaque, elle ancienne esthéticienne malheureuse) qui emmène la grand-mère Monica (au destin tragique) au Luxembourg. Il y a aussi Cherry, professeure de Pole Dance et influenceuse Instagram ; Antoine, le groom qui déplace Red Apple, le cheval à la vie traumatisée. Loïc le dépanneur qui est bien content de croiser Chelly, beaucoup moins Monica, la grand-mère voyeuse. Alika, la domestique originaire des Philippines qui attend que ses patrons viennent la chercher après l’avoir prêtée à un couple d’amis ; Sébastien et Juliette, les employés de la station qui s’entendent comme larrons en foire, partageant une amitié scellée par le secret. Julianne, seule survivante d’un drame de masse ; Joseph, représentant en acariens trop gentil qui se laisse submerger par ses émotions. Et enfin Gigi, vieille femme alcoolique qui vient de se faire larguer par son amant.

Dès la première page, la première phrase, on sait que «si on compte le cheval mais qu’on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise ». Ce qu’on ignore par contre, c’est pourquoi.


« Une fois vidées de leur souffrance, les âmes s’en allaient, apaisées. »

Et c'est à nous, lecteurs, de chercher du sens à tout cela. De le chercher et de le trouver.

Chaque chapitre est une histoire, un vécu, un traumatisme. Seule Victoire revient dans une seconde présentation. Mais les autres n’ont droit qu’à une apparition, plus où moins longue, en fonction de ce qu’ils ont vécu, de ce qu’ils ont à raconter, de ce dont ils veulent témoigner.

On a vite fait de s’agacer à tenter de comprendre où veut en venir l’auteure. Et puis petit à petit, ça fait sens. Parce que ça n’en n’a pas. On est un soir d’été, dans une station d’essence au bord de l’autoroute. A un instant T, quatorze destins se croisent. Quatorze personnes sont au même endroit, au même moment. Partage peut-être quelques mots, ou plus, ou rien du tout. Certains sont seuls, certains sont plusieurs. Mais tous ont leur vie, leur passé, leur fardeau.

C’est avec une écriture acérée, comme dans son précédent roman, La Vraie Vie, que Adeline Dieudonné dresse un nouveau portrait de la société, des individus. Elle nous donne un trousseau de clés et nous laisse avec, libres d’en faire ce que l’on veut. Ouvrir des portes, les séparer, jouer, les mettre de côté et les oublier. C’est le lecteur qui, avec les pièces d’un puzzle, construit ce qu’il veut.

Si cela désarçonne au début, à la réflexion, c’est assez brillant. Et terrible aussi. Terrible car cela nous met face à une réalité que l’on ne peut pas nier : on ne connaît pas les gens que l’on croise. On ne sait pas ce qu’ils traversent ou ont traversé. On est au même endroit au même moment qu’eux, mais au final, on est tout seul avec nos vies.


« D'autres arriveront.Toutes repartiront. Ici on ne fait que passer. »

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