Maryline Desbiolles
« Ce ne sont pas des ailes pour aller plus vite ni pour s’envoler, ce sont des ailes pour endosser son corps insoupçonné, sa démesure. »
Emma Fulconis court. Toujours, tout le temps, partout, pour aller partout, elle court. Pas pour gagner une course, pas pour être plus rapide que les autres ou pour gagner des médailles, non. Elle court parce qu’elle aime ça. De manière incompréhensible et irraisonnée. Elle s’arrête, de temps en temps pourtant. Notamment ce jour où elle se rend chez son camarade Stéphane. Quand elle franchit la porte d’entrée, l’énorme chien de la maison se rue sur elle et lui déchiquette la jambe gauche. A partir de ce moment-là, Emma ne courra plus. Elle réfléchit à cette phrase du maître du chien, cette phrase qui la renvoie à son identité, ou plutôt à celle de sa mère, de ses grands-parents. Cette phrase derrière laquelle l’homme se réfugie, avec laquelle il justifie l’agression d’Emma.
Alors Emma interroge son passé, et donc son oncle. Son Oncle qui se souvient de l’arrivée en France, des camps qui ne s’appelaient pas comme ça, des confinements, de la rudesse des villageois, de l’obligation de s’intégrer dans un environnement qui ne voulait pas d’eux.
Emma ne court plus sur ses jambes, mais elle danse en esprit, elle chante dans sa tête, de petites mélodies qui l’aident à se tenir debout, à rester droite et fière malgré l'agression, malgré les regards de travers et les remarques de ceux qui savent mais qui ne disent pas que ce qu’elle a subi, c’est du racisme.
Emma ne court plus mais cela ne l’empêche pas de fuir le passé, le futur dans cette bourgade hypocrite et salle des mauvais traitements infligés au lendemain de la guerre d’Algérie et qui tente malgré tout de se refaire une beauté, une réputation, une mémoire glorieuse.
« … elle danse tout court (...), de toute sa chair et sa peau, de toute sa douleur, de toute sa jeune vie… »
Ce roman est très court et ce n’est pas plus mal, parce que sa langue poétique aurait vite fait de perdre le lecteur non habitué à ce style de narration. Très beau et très puissant, il repose beaucoup sur les ressentis, les émotions d’Emma Fulconis. Mais sans le dire vraiment. Elle a presque l’air d’être au-dessus de tout ce qui lui arrive, excepté la douleur par contre. Elle ne se cachera pas, elle ne compte pas épargner les villageois de la vue de cette jambe qui lui a été presque arrachée par le chien de l’un d’entre eux, elle ne couvre pas sa tête qu’elle a rasée pour ne plus être attifée de ces cheveux qui marquent sa différence.
Emma est fière. Et l’auteure de profiter de ce que la gamine a vécu pour revenir sur le passé de cette région qui, parmi d'autres, a accueilli les harkis au lendemain de la guerre d’Algérie mais ne les a pas traités comme il aurait fallu. Ni français, ni algérien, ces gens n’avaient-ils leur place nulle part ? Pourtant ils ont aidé la patrie contre leur pays. Pourtant ils ont fait ce qu’on leur demandait pour avoir leur place, le droit d’être là.
Dans ce village où elle est née, Emma se rend compte de ce qu’a été la vie de ses grands-parents, de son oncle, de sa mère. Elle se rend compte qu’elle n’est pas à sa place finalement, puisque même courir, elle ne peut plus. Alors autant partir. Autant l’écrire.
« Emma Fulconis pense que le village est beau, qu’il vaut la peine d’être quitté.»
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