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L'amour et les forêts

Eric Reinhardt

« un jour, à force de le vouloir, elle parviendrait à être heureuse »

Bénédicte Ombredanne a 36 ans. Mariée, mère de deux enfants, professeure de français, coquette, souriante, elle laisse paraitre une femme heureuse et comblée par la vie. Elle rencontre le narrateur, une première fois, pour lui faire l’apologie de son dernier roman. Le courant passe, la confiance s’installe. Bénédicte fait montre d’une intelligence et d’une sensibilité qui plaît à l’écrivain, alors quand elle demande à le revoir quelques mois plus tard, il accepte. Et il découvre alors le véritable visage de cette femme ravagée par la vie et par son mariage. Elle lui confie, en une après-midi, l’enfer qu’elle vit, une après-midi idyllique dans les bras d’un amant et le harcèlement continue de son mari. L’indifférence de ses enfants, son combat pour survivre à la pression d’un homme que l’on peut qualifier de pervers-narcissique doublé d’un passif agressif. Jean-François est un bourreau qui ne laisse aucun répit à sa victime, en l'occurrence son épouse.

Il se passe plusieurs mois et l’auteur écrit un nouveau roman. Il tient sa promesse et envoie un mail à Bénédicte Ombredanne pour la prévenir. La réponse qu’il obtient alors le pousse à se déplacer à Reims, à aller à la rencontre de la soeur jumelle de sa lectrice et ce qu’il va apprendre va lui glacer le sang en même temps que le nôtre.

Alors, comme Bénédicte, on va chercher du réconfort dans la littérature de Villiers de l’Isle-Adam et les forêts des Vosges où nous attend peut-être une personne que l’on connaît à peine, qui nous a offert une parenthèse de 6 heures de bonheur intense et dont la seule évocation nous permet de continuer à traverser l’enfer du quotidien.


« Les années passent, l’eau coule, et au moment où tu réalises que ces années ont passé tu t’aperçois que tu n’as rien vécu, ou peu, ou pas suffisamment, et tu t’en veux… »

Ne connaissant pas du tout Eric Reinhardt, à part de nom, je me suis intéressée à ce roman en particulier du fait de la sortie de son adaptation au cinéma et des retours très positifs qui en ont découlé.

Quand le roman commence, on se dit que le personnage principal, c’est l’auteur, on pense à une auto-fiction. On ne se doute pas un seul instant qu’il va s'utiliser comme tremplin vers une autre histoire, beaucoup plus sombre, ô combien plus triste et dramatique. Façon peut-être de mettre en perspective ce qui nous paraît grave à notre échelle et ce qui l’est vraiment. Mais également de démontrer la force de l’imagination, de l’illusion, du mensonge. Bénédicte Ombredanne se ment tellement à elle-même qu’elle se convainc que ce qu’elle vit n’est pas si terrible que cela. Elle a tellement à cœur de donner d’elle et de sa famille, de son couple, une image parfaite qu’elle minimise les dégâts causés par son mari sur son sommeil, sa santé mentale et physique, son estime d’elle-même.

Avec délicatesse et bienveillance, l’auteur nous livre le récit de cette femme meurtrie et néanmoins courageuse, qui nous prouve, une fois de plus, que ce n’est pas le genre ou le vécu qui donne de la légitimité dans la dénonciation de maltraitance. Ce n’est pas parce qu’Eric Reinhardt est un homme qu’il ne peut pas parler de la violence faite aux femmes et de l’enfer qu’elles traversent. Ce n’est pas parce qu’il ne l’a pas subi qu’il ne peut pas le traduire et le témoigner.

Force est de constater qu’il réussit parfaitement à nous faire ressentir les émotions, les peurs et les espoirs non seulement de Bénédicte mais également sa honte, son impuissance, ses regrets à lui, qui n’a rien vu et donc rien pu faire, comme la famille de Bénédicte. On peut tous être confrontés à ce genre de situation : voir sans rien pouvoir faire, sans être sûr. Cela fait-il pour autant de nous des bourreaux ? Je ne crois pas, je n’espère pas.

Un roman somme toute lumineux, parce que la lumière est intérieure à Bénédicte et l’auteur nous restitue avec finesse et élégance, avec la beauté de Bénédicte, de ses espoirs et de ses illusions.


« La mort et les tiroirs sont peut-être les deux destinations où les gens et les objets se laissent le plus facilement oublier.»

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