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L'enfant rivière

Isabelle Amonou

« Si tu grandis entre deux cultures, si tu portes les marques des deux et les manques des deux, tu es juste nowhere. »

2030. Thomas quitte précipitamment Paris. Son père vient de mourir, il doit rentrer au Canada de toute urgence. Et pourtant, il ne le veut pas. Il a fui le pays et toutes les souffrances qui y sont attachées il y a déjà six ans. Parce que Thomas est Canadien, il a y a grandi, y a connu l’amour, y a eu un enfant et l’a perdu. C’est ce drame qui l’a fait fuir Zoé et les siens, le chagrin de ne plus avoir son fils. 

Zoé, elle, gère le deuil autrement. Elle chasse les enfants sauvages pour les remettre aux autorités. Il faut dire que les réfugiés climatiques et les victimes de la guerre civile aux Etats-Unis sont toujours plus nombreux. Il faut juguler l'hémorragie et faire quelque chose de tous ces mineurs qui envahissent les forêts et sont de plus en plus violents. Et puis courir après les enfants des autres, c’est une chance de peut-être, retrouver la trace de Nathan. Parce que oui, l’enfant a disparu, mais son corps n’ayant jamais été retrouvé, il reste un infime espoir, que ne partage pas Thomas. 

Le couple, déchiré par le chagrin, va se retrouver. Chacun, en l’autre, ravive la plaie, le chagrin, les souvenirs. Mais aussi l’amour qui les a unis l’un à l'autre si tôt, et qui les a rendus plus forts : Zoé a lutté contre sa mère, alcoolique, Algonquine, ancienne pensionnaire du gouvernement. Son père, qui l’aimait beaucoup trop, jusqu’à ce que Tom lui donne le courage de ne plus se laisser faire. 

Au bénéfice de ce voyage qui se voulait court, rapide et efficace, Thomas va donc retrouver ses terres, son passé, sa femme et les espoirs insensés de cette dernière. La colère, la rancœur, la peine qu’ils se renvoient l’un à l'autre n’aura pas le dernier mot, parce que tout est encore possible : une chance sur un millier de retrouver Nathan, ça reste une chance…


« C’était ça la cruauté suprême, poser les questions et ne pas attendre les réponses. »

J’ai plongé dans ce roman comme on se lance dans une rivière claire. Avec l’envie de me rafraîchir après les dures lectures précédentes. Et à part le titre et les recommandations des Cop-Vleel, je n’avais rien, je m’y suis donc immergée comme dans l’eau, les yeux fermés. Et quelle baignade ! Je cherchais de la légèreté, râté. Par contre, j’ai pris un grand bain d’amour, d’espoir, de souffrance, de deuil, de colère. 

L’auteure Bretonne décrit un Canada effrayant, ravagé par les catastrophes naturelles et la violence de l’immigration climatique et politique, mais un Canada qui tient encore, à l’image du chalet de Zoé qui tient toujours debout malgré les tornades et les tempêtes. 2030, c’est demain. Et les projections faites pour les six ans à venir sont effrayantes, pas seulement dans la disparition des enfants qui n’est pas sans rappeler les enlèvements des autochtones (auxquels il est bien évidemment question aussi) mais aussi par les conséquences météorologiques et civiques des comportements d’aujourd’hui. Tout fait écho : les catastrophes naturelles, la guerre civile aux Etats-Unis, la violence qui pointe partout, même chez les plus résilients, le chagrin de la perte, la débrouillardise. Cette projection dans un futur proche et les communautés d’enfants n’ont pas été sans me rappeler de romans dystopiques tels que “Dans la Forêt” de Jean Hegland ou des témoignages peu glorieux du passé Canadien comme “Jeu Blanc” de Richard Wagamese. 

Cela peut paraître lourd, tout ce noir, toutes ces tristes anticipations, ajoutées à la perte d’un enfant de 4 ans et l’éclatement d’un couple, mais non, ça se laisse déguster, doucement, délicatement. C’est un roman qui permet à la fois de s’évader dans le futur, de se souvenir du passé et de réfléchir au présent. Il habite tous les temps, tout le temps. Il happe et ne nous lâche plus, dans les espoirs de Zoé, le chagrin de Thomas, les regrets de Camille, la force de Pamela, l’abnégation de Michel... Autant de qualités et de caractères (et bien d’autres) réunis autour d’un seul objectif : Nathan. Parfois même sans le savoir. 

Un roman magnifique et puissant, qui mérite une large audience ! 


«La flèche du temps interdit toute seconde chance et retourner dans ses plis ne servait à rien d’autre qu’à le blesser plus profondément, encore et encore. »

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