A la bibliothèque, tu entres, tu choisis, on enregistre et tu pars. Si simple ?
Voilà déjà presque trois mois que j'ai entamé ma nouvelle aventure professionnelle et personnelle : rattachée au secteur "adultes", je suis désormais ce qu'on peut appeler une Bibliothécaire, en charge des romans, romans policiers et de la littérature à la Bibliothèque de ma Communauté d'Agglomération. Je vous passe les détails plus que compliqués pour enfin atteindre cette position qui est la première étape d'un projet de grande ampleur.
Ce "job" (car il ne s'agissait pour moi que de ça au début), je le pensais simple. Reposant. Le moyen idéal de me remettre dans une dynamique active : sortir de chez moi, rencontrer du monde, et être au contact avec des livres, des livres, des livres…
Mais ces ouvrages, justement, il faut bien qu'ils arrivent dans les rayonnages avant de pouvoir être empruntés et lus.
“Bibliothèque : trop de volumes et pas assez de livres.” A. Decourcelle
D'abord, il y a la sélection des œuvres. C'est très subjectif : chaque "rayon" a un budget annuel alloué. Il s'agit de prévoir dans cette enveloppe l'achat de nouveautés bien sûr mais pas seulement ! Il faut aussi répondre aux attentes des lecteurs et remplacer les livres trop abîmés. J'ai été "frappée" de constater que certains romans que je considère comme des indispensables ne font pas partie du fonds de la bibliothèque ! Comment cela peut-il être possible ?
C'est une grande leçon d'humilité de lectrice : ce que j'aime ne fait pas l'unanimité. Ce que je n'aime pas peut être plébiscité. Comment choisir ? Il faut se faire confiance, savoir que ce que je fais entrer dans les étagères ne sera pas forcément lu, ne sera pas forcément aimé. Après, charge à moi de mettre les collections en valeur et de "vendre", de convaincre les usagers de lire ce que j'ai sélectionné pour eux (plus que pour moi, ça aussi c'est difficile).
Lorsque je regarde les statistiques de sorties, je suis surprise au début, et puis de moins en moins. Je dois faire des recoupements avec ce que j'observe des lecteurs : leur profil, leur âge, les catégories socioprofessionnelles… et je suis ainsi moins étonnée de constater que Danièle Steel, Christian Signol et autre Bernadette Dupuy soient si attendus. Moins étonnée et moins juge aussi. Parce qu'il en faut pour tous les goûts, pas que pour les miens !
Première migraine…
Ensuite, il faut savoir que le rangement des Bibliothèques répond le plus souvent à une classification assez complexe appelée la Dewey. De 0 à 900, chaque centaine correspondant à une catégorie bien particulière. Il faut connaître les grandes familles pour savoir à quel genre appartient tel ou tel bouquin. C'est une arborescence qui est des plus complexes aussi parce qu'un même livre peut parfois être catalogué dans plusieurs branches, il en va donc là de la sensibilité de la personne en charge du fond.
Je trouve des biographies de Balzac en Littérature mais celle de Limonov dans un autre rayon. Et pourquoi ces deux là ne se trouvent pas dans les Biographies justement? La réponse réside en partie dans la catégorie où le bouquin aura le plus de chance d'être choisi par le lecteur : on s'attend à trouver du Balzac en Littérature, du Carrère (pour Limonov) en romans.
Je suis pour ma part en charge des "800" : cela regroupe tout ce que l'on peut ranger dans la catégorie "Littérature". Les romans, les romans policiers, la poésie, les essais, une partie des biographies (justement). C'est un fond énorme et j'ai donc beaucoup à faire, beaucoup à découvrir et beaucoup à ranger, beaucoup à commander aussi du coup !
Deuxième migraine.
J'ai la chance d'avoir somme toute une liberté assez importante du fait de ma connaissance du sujet (romans et policiers) et de la confiance qui m'est donnée par ma hiérarchie. Bref, je (re)commande ou les lecteurs suggèrent, les chefs valident et la commande est passée.
Lorsque le livre arrive, commence sa vie d'avant : il faut l'enregistrer dans le SIGB (système intégré de gestion de bibliothèques), en prenant garde de ne pas se tromper dans les champs principaux qui permettent de le cataloguer correctement et de le retrouver plus vite ensuite. On établit une fiche, on l'exemplarise (on affecte un exemplaire à la Bibliothèque), on génère une "cote" qui permettra le rangement dans le bon rayon et ensuite il faut l'étiqueter et bien sûr le couvrir pour le protéger. C'est seulement après tout cela qu'on peut ranger en rayon OU l'affecter au lecteur qui a suggéré l'achat ou effectué une réservation. Dans ce processus de travail, je dois avouer que c'est avant tout l'acquisition des automatismes qui prend un peu de temps. Une fois la tâche comprise et acquise, ça va assez vite. Sauf la couverture des livres qui me demande toujours beaucoup de temps (paraît que je ne vais pas assez vite car j'ai trop peur d'abîmer les ouvrages… tant pis, j'assume).
Troisième migraine…
Avec tous les livres qui sortent chaque année, il fait aussi réaliser que les étagères n'ont pas de rallonges, il faut donc établir un tri de manière régulière. On peut essayer de tasser en réserve mais c'est pareil qu'à la maison : on ne peut pas pousser les murs (j'ai essayé, de toute mes forces, mais rien à faire!!). Alors il s'agit de procéder à ce que jusqu'à maintenant j'ai le moins aimé : faire sortir des ouvrages du fonds. Je ne dirai pas ce qui est fait de ce qu'on sort (rassurez-vous, pas d'autodafé !), seulement la manière dont il faut procéder ici : générer un fichier recensant les articles non sortis (non empruntés) depuis deux ans, par exemple, et sélectionner ceux qui restent et ceux qui ne restent pas. On peut aussi regarder l'état des livres, bien sûr, mais dans le cas d'un Balzac par exemple, même s'il n'est pas sorti depuis quatre ans, on ne l'enlève pas du fond. Et s'il est abîmé, on le remplace.
ARG ! J'avoue que c'est une tâche ingrate que de devoir faire de la place et de se dire que certains auteurs classiques DOIVENT rester alors qu'il me faut dégager des romans que j'ai personnellement beaucoup aimés mais qui ne sont pas sollicités par le public de la Bibliothèque (spéciale dédicace à Morgan Sportès pour son "Tout, tout de suite", qui m'a bouleversée mais que je n'arrive pas à faire sortir… je réfléchis ardemment à mon argumentaire !)…
Quatrième migraine…
Finalement, ce n'est pas de tout repos aussi bien physiquement qu'intellectuellement. Physiquement car il faut monter, descendre, aller chercher ou ranger les ouvrages, intellectuellement pour tout le reste.
Il ne s'agit là que d'une partie du travail, celle qui concerne directement l'objet livre (ou CD, ou DVD, ou Manga/ BD,...). Je me rends compte que c'est déjà un bien long article… je vous laisse digérer et aller vous inscrire dans la Bibliothèque la plus proche de chez vous…
“La fonction essentielle d'une bibliothèque est de favoriser la découverte de livres dont le lecteur ne soupçonnait pas l'existence et qui s'avèrent d'une importance capitale pour lui.” U. Eco
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