Adèle Bréau
« grâce à vous, je comprenais. Et comprendre fait souvent mal.»
Adèle Bréau, je connaissais. Auteure découverte lors d’une lecture d’été, rapide et sans prétention. Fraiche. Mais Menie Grégoire, même si le nom me parlait vaguement, c’était très flou. Combinez les deux, ça matche !
« Si nous avions eu le quart de ces témoignages vécus, l’Histoire n’aurait pas eu le même visage et je crois qu’elle serait plus humaine. »
A l’été 2021, Esther est en Bretagne, où elle se cache et se reconstruit. Elle a quitté son conjoint après huit ans de vie commune et d’amour violent. Victime culpabilisée, elle reçoit une proposition d’une vieille amie : faire des recherches sur Menie Grégoire, une femme qui a révolutionné la condition des femmes dès 1964 et qui suscite la curiosité de l’éditrice qui voudrait qu’un livre lui soit consacré.
Au milieu des années 1960 donc, Menie, proche de la cinquantaine, mère de trois filles et épouse dévouée à son mari conseiller d’état, écrit dans des magasines quelques articles et répond aux questions de lectrices. Des interrogations sur la condition des femmes, sur les douleurs et les difficultés du quotidien, sur la sexualité aussi. Un mot après l’autre, Menie - Marie de son vrai prénom - tente d’apporter de l’aide et du soutien. Elle est remarquée d’abord par l’Alliance Française qui l’envoie aux quatre coins du monde pour se rendre compte sur le terrain de la place faite aux femmes.
En 1967, c’est RTL qui lui propose de participer à la nouvelle vie de la radio : le média des journalistes mais aussi des auditeurs. Alors tous les jours, pendant 14 ans, Menie prend l’antenne et écoute, conseille, accompagne ceux et celles qui oublient les millions d’oreilles derrière les transistors pour ne parler qu’à elle, Menie. En parlant ouvertement de sexualité, de violence domestique, de responsabilité, de famille, elle bouscule les codes de la société, ainsi que ceux de sa famille.
En parallèle, dès 1968, Mireille et Suzanne, deux sœurs, voient leurs vies bousculées par l’arrivée de l’animatrice sur les ondes. L’une est mère de six enfants à tout juste 30 ans, l’autre célibataire, employée de maison à Paris et enceinte par accident. Elles vont toutes les deux être touchées au cœur et aux corps par ce qu’elles entendent. Leur destin n’est plus aussi définitif qu’elles l'imaginent. Menie a changé leurs vies, comme à tant d’autres…
« …telle une enfant perverse, elle avait poussé ses petites camarades à bouleverser les règles tacites d'une société qui tenait debout depuis des siècles sans se poser de questions,… »
Présenté lors de la rentrée littéraire de janvier, L’heure des femmes m’avait immédiatement interpellée. Par son auteure d’abord, que j’avais découverte l’été précédent dans le très rafraîchissant Frangines, puis par le sujet abordé : la parole donnée aux femmes, par une femme, en 1967 sur RTL.
J’ai aimé la manière dont Adèle Bréau parle de sa grand-mère (car oui, il s’agit de sa grand-mère), mais j’ai particulièrement aimé la façon dont l’écrivaine-journaliste dépeint le portrait de cette autre journaliste, chroniqueuse, femme d’avant-garde qui a tout chamboulé, qui a été moquée, malmenée, mais qui est restée campée sur ses talons hauts, fièrement, à une époque où les histoires de bonnes femmes… vous voyez quoi…
L’histoire d’Esther, de nos jours, m’a tout d’abord dérangée. Puis elle m’a attendrie. Enfin, elle m’a fait réfléchir. Tout ce temps passé à se battre pour que la condition des femmes s’améliore et pourtant… pourtant, comme le dit Esther, à chaque scandale, de celui de Springora à celui de Kouchner, en passant #metoo, la société semble prendre conscience des mauvais traitements dont sont victimes bon nombre de personnes autour de nous. Il y a plus de 60 ans, Menie se battait déjà pour faire entendre les voix de celles (et ceux) qui souffraient, qui avaient besoin d’aide et d’écoute. Depuis 1967, certes les choses ont évolué, mais… Une femme battue, une jeune fille violée, une gamine enceinte… Autant de coupables : celle qui ne fait pas ce qu’on attend d’elle, celle qui ne s’habille pas décemment, celle qui ne prend pas ses précautions (ou qui est carrément une salope).
L’histoire d’Esther, c’est le coup de projecteur sur l’éducation qu’il faut reprendre. Il reste du travail, c’est ce que nous dit l’auteur. Mais elle nous dit aussi que c’est grâce à des personnes comme sa grand-mère que les choses ont commencé à bouger, et que c’est l’espoir qui surgit de ces révolutions…
« On a eu beau ouvrir le suffrage universel aux femmes, on ne les entend pas. De là à les écouter… »
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