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L’origine des larmes

Jean-Paul Dubois

« La France est un endroit où il ne fait pas très bon vivre et encore moins mourir. »

2031, Toulouse. Cela fait deux ans qu’il pleut sans discontinuer. Après des épisodes de sécheresses et diverses catastrophes climatiques, c’est la pluie qui a gagné, aux dépens des hommes et des bêtes. Mais ce n’est pas ça le plus important. L’essentiel c’est que le père de Paul est mort. De Montréal, il est rapatrié en France. A la morgue, le fils demande à voir le corps. On ne refuse rien à l’enfant d’une victime, même si c’est un adulte. Alors on le laisse avec le défunt et Paul tire deux balles dans la tête du cadavre. Pourquoi ? Pourquoi cet homme, chef d’entreprise, lisse, sans ami et sans histoire a-t-il attenté de la sorte à l’intégrité du corps de son propre père ? 

Condamné à un an de prison avec sursis et obligation de soins thérapeutiques, Paul va raconter, au rythme d’une rencontre par mois. Il va livrer son parcours, son drame. La mort de sa mère et de son frère jumeau le jour de sa naissance. La brutalité et la perversité du père qui a joué avec les nerfs, les émotions, les chagrins de son garçon. Les abandons, les mauvais mots, le harcèlement moral de cette brute sur tous ceux qui l’entourent. 

Heureusement pour Paul, il y a eu Rebecca, la seconde épouse de Thomas. Folle d’amour, elle passe tout à Lanski et s’occupe de l’enfant comme si c’était le sien. Elle le protège, l’aime, l’élève, l’accompagne. Elle assure, mais rien ne remplacera jamais une mère biologique dont on ne connaît ni le nom ni l’image, et rien ne comblera le manque d’un jumeau. 

C’est le besoin de vengeance qui a conduit Paul à tuer un mort. 

C’est le besoin de sens qui va le pousser à tout raconter au thérapeute désigné par la justice. Pas la recherche de pardon car il assume son acte et ne s’en repent pas. Il veut rétablir la vérité sur l’escroc qu’a été son père, le meurtrier indirect de sa famille et de son enfance. Le bourreau non des coeurs mais des âmes.


« L'esprit humain n'avance pas sur des rails. Il a son GPS intime qui ne connaît que sa propre cartographie. »

J’avais lu (et adoré) Tous les Hommes n'habitent pas le monde de la même façon lorsque ce dernier a obtenu son prix Goncourt en 2019. Il y a dans l’écriture de Dubois une compréhension et une peinture de l’âme humaine qui dépassent de loin les compétences de certains analystes. 

Autant, dans le roman lu précédemment il y avait un lien de dépendance et d'affection particulièrement fort entre le héros et son père qui s’adonnait aussi à certains vices, autant l’intensité du rapport paternel est ici dans le rabaissement de l’enfant, l’égoïsme d’un homme prêt à tous les excès pour protéger son propre confort, même si cela porte préjudice au monde, à la société et aux siens (d’ailleurs, il s’en fout). 

Ce père qui a offert un canari à la tête arrachée à son petit garçon, qui lui a fait croire qu’il était le petit-fils d’un haut dignitaire Suédois - prix Nobel de la paix à titre posthume et secrétaire général de l’ONU - pour mieux jouir de la chute du gamin quand il découvrira la vérité. Cet homme qui comble sa femme sexuellement pour lui écrire dans une lettre que son frère à elle est aussi un bon coup… cet homme on le déteste et on ne peut que compatir avec la peine de Paul enfant, comprendre Paul adulte, le soutenir. 

Pendant que la pluie tombe et que le psy pleure des larmes chimiques, Paul prend conscience que la condamnation de la justice est bien peu de chose face à la peine que lui a fait subir son propre père. Toute sa vie aura été conditionnée par cet homme, dont il descend et qu’il n’aura de cesse de combattre, sans se rendre compte que c’est mission impossible. Un père est un père, quoique l’on fasse, on ne peut le nier. Même si on préférerait ne pas. L’éducation d’un enfant, qu’elle soit bonne ou mauvaise, conditionne l’adulte que l’on deviendra, avec nos névroses, nos peurs, nos haines, nos joies et nos chagrins.

Un roman surprenant qui questionne la paternité et ce lien qui nous unit, de gré ou de force…


« Revisiter sa vie, en répondre, est une expédition incertaine, périlleuse et lointaine. »

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