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L'été où tout a fondu

Tiffany McDaniel

A l’occasion de la rentrée littéraire de cet automne, les éditions Gallmeister ressortent le premier roman de Tiffany McDaniel, édité chez Joelle Losfeld en 2019.


« Quand vous n’avez personne de qui vous soucier, ni personne qui se soucie de vous, essayer d’améliorer vos conditions de vie est une perte de temps. »

Eté 1984, Breathed, Ohio. Alors qu’une vague de chaleur sans précédent s’abat sur la petite bourgade, un jeune garçon noir arrive en ville. Il dit être le diable en personne et venir à la demande du procureur, Autopsy Bliss. Ce dernier a effectivement fait publier, dans le journal, une invitation à Satan. Mais il était loin de se douter que ce dernier prendrait les traits d’un enfant à la sagesse et à la bonté sans bornes. Il était également d’imaginer que l’arrivée combinée du gamin en salopette sale et de la canicule allait bouleverser à tout jamais la vie du village dans sa globalité et de sa famille en particulier.

Sal, ainsi que se fait appeler le démon, est hébergé chez l’homme de loi, en attendant de savoir qui il est et d’où il vient. Il sera accueilli par toute la famille comme le troisième fils, du même âge que Fielding dont il deviendra le meilleur ami. Du même âge, ils se trouvent, se parlent, se confient, se protègent. Ils assistent aussi à la transformation que la chaleur et la haine font subir à leur environnement. Parce que Sal déchaîne la fureur du voisin, un nain acariâtre qui voit en lui la source de tous les malheurs et de toutes les catastrophes qui s'abattent sur Breathed.

De fil en aiguille, les drames s’enchaînent. Les pertes, les chagrins, mais aussi les preuves d’amour et d’espoir. Si Sal est le diable, alors le Diable est un mec bien. Un enfant gentil, patient, empathique. Un enfant qui porte la sagesse et l’amour en lui, comme les cicatrices qu’il a dans le dos et dont il prétend qu’elles sont les marques de ses ailes perdues.


« Quand l’amour de la personne que vous aimez se transforme en une énergie qui vous est étrangère, c’est comme si le carburant vous faisait défaut. Cela diminue votre valeur en tant qu’amant. En tant qu’homme. »

Le récit à la première personne est celui de Fielding. L’été 1984 est loin derrière lui. Il avait 13 ans alors, il en a 84 lorsqu’il nous raconte son histoire. On ne sait pas quand on est, en quelle année, mais cela n’a pas d’importance. Ce qui importe, c’est le poids de la culpabilité que le vieil homme porte en lui, comme un fardeau. Les punitions qu’il s’inflige dans l’espoir d’obtenir le pardon pour ses actes, ses manquements de cet été là. Il souffre depuis 71 ans et estime que ce n’est que justice.

Betty était, à proprement parler, un roman bouleversant dans son écriture, dans sa justesse, dans son amour paternel. Tiffany McDaniel, sans faire la même chose, a su générer les mêmes émotions : la même envie, les mêmes tremblements, la même empathie. On sent, une nouvelle fois, la force de la famille en générale et de la fratrie en particulier. La générosité du père, l’amour des frères. Avec une petite touche de roman du sud, à la manière de Tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee, elle fait aussi un portrait glaçant, malgré la chaleur écrasante, du racisme persistant des Etats-Unis des années 1980. La peur de l’étranger et le poids de la religion font perdre tout bon sens aux habitants de la ville, jusqu’au pire.

Un très beau roman donc, qui je l’espère, rencontrera le même succès que le précédent, qui est en fait le suivant… Bref, un roman à la hauteur de Betty.


« Tout amour conduit au cannibalisme (…). Tôt ou tard, notre cœur finit, sinon par dévorer l’objet de notre affection, tout au moins par nous dévorer nous-mêmes. »

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