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La bâtarde d'Istanbul

Elif Shafak

La lecture a ceci de magique qu’elle est à la fois une activité solitaire et sociale. En partageant nos goûts et nos ressentis, on échange et on se laisse convaincre d’aller à la découverte de livres inconnus. C'est ce qui m'a permis, grâce aux réseaux sociaux, de découvrir ce roman sur un pays encore méconnu, la Turquie.


« La majorité écrasante de la population ne pense jamais, et la minorité pensante ne devient jamais une majorité écrasante. »

Dans les années 1980, deux enfants, deux petites filles naissent à quelques mois d’intervalle. L’une, Asya, est une bâtarde. Sa mère, cadette d’une fratrie de cinq enfants refuse l’avortement et accouche d’un enfant sans père à Istanbul. L’autre enfant, Armanoush, est née à Tucson d’un père Arménien et d’une mère américaine. Après le divorce, Rose épouse un Turc, par défiance pour son ancienne belle-famille.

Les deux jeunes filles, en quête d’identité, vont se rencontrer. A travers elles, ce sont deux histoires, deux visions de l’Histoire, du passé, qui vont se confronter. D’un côté la diaspora Arménienne qui vit aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, dans l’angoisse du passé et la haine de la Turquie, de l’autre les Turcs insouciants ou négationnistes de ce qu’il s’est passé en 1915 avec le génocide arménien.

Asya et Amy partagent bien plus que ce besoin - assumé ou non, de savoir d’où elles viennent, mais sans le savoir. Quand la jeune femme américaine décide de rejoindre seule Istanbul, elle est loin de se douter de ce qu’elle va y vivre, dans cette famille exclusivement composée de femmes, toutes d’âges et d’opinions différentes. C’est une ouverture vers autre chose, une autre vision de la Turquie, plus aimante, plus généreuse et plus bienveillante que ce que sa famille arménienne lui avait décrit.


« … Son véritable problème avec Allah n’était pas qu’il n’avait pas de sang, mais qu’il avait trop de sœurs de sang pour s’occuper de chacune d’elle, si bien qu’il finissait par ne s’occuper de personne.»

Bien que passionnant par son approche moderne de la Turquie (moderne pour 2006 j’entends), ce roman a quelque chose de manquant, de bancal. Il y a une véritable richesse dans l’histoire du conflit entre Turcs et Arméniens, dans les us et coutumes, dans ce qui les séparent et ce qui les unit, parfois malgré eux. Armanoush, qui a été élevée par un beau-père turc et une famille paternelle arménienne, est un parfait pont entre les deux cultures, pont qui n’est pas si long que ça, finalement.

Comme dans La Librairie de Téhéran ou Là où brillent les étoiles, c’est aussi par la cuisine que nous découvrons les habitants, leurs habitudes et leurs routines. Pour sûr, c’est un roman qui donne faim ! Mais il y a quelque chose de plus profond qui est, de mon point de vue, trop brouillon. Les arbres généalogiques s’emmêlent, on comprend que les deux familles sont liées mais ce n’est pas clair, c'est flou, comme si ce n’était pas assumé, et c’est bien dommage.

Ceci étant, c’est aussi, quand on y réfléchit, un roman sur le pardon et la rédemption. Il y a, dans l’ignorance de certains personnages et les propos d’autres, un réel désir d’aller de l’avant, de ne pas se laisser couler par le poids du passé. La question est donc de reconnaître le juste milieu entre regarder en avant et ne pas oublier, pour ne pas reproduire. A la lumière des récents événements en Turquie, on est en droit de se dire qu’il y a encore du boulot, et que rien ne sera possible tant qu’il n’y aura pas dialogue : reconnaissance d’un côté, pardon de l’autre.


« … le mot FIN n'apparaît jamais quand tu termines un livre. Ce n'est pas comme au cinéma. Quand je referme un roman, je n'ai pas l'impression d'avoir terminé quoi que ce soit, si bien que j'ai besoin d'en ouvrir un autre…»

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