Alice Renard
« Les jours qu’on perd, c’est des soleils qu’on éborgne, c'est des magnolias dont on souffle la bougie. »
J’ai beaucoup entendu parler de ce premier roman, écrit par une toute jeune fille de 21 ans. Il fallait que je sache pourquoi elle fait tant parler.
« Dans la peine comme dans la joie, elle se livre entièrement à son émotion, jusqu’à en être tout à fait vidée. »
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire d’Isor. Elle a 13 ans. Pendant que ses parents préparent son gâteau d’anniversaire, elle vaque à ses pensées, dans son monde, qui n’est pas le nôtre. Alternativement, son père et sa mère se souviennent, pensent à ce qu’ont été ces premières années : la distance que leur fille mettait avec le monde en général et eux en particulier. Les interrogations et les inquiétudes, les médecins, les diagnostics, les condamnations. Isor n’est pas comme les autres enfants, elle n’est présente qu’à elle-même, qu’à ses priorités. Elle ne parle pas, n’entre en interaction qu’avec les manières qu'elle a choisies et surtout avec ceux qu’elle a élus. Elle ne se conforme à aucune règle, aucune contrainte.
Et puis un jour, elle rencontre Lucien. Au hasard d’un dégât des eaux, Maude et Camilio sont obligés de demander au vieux voisin de bien vouloir garder leur petite sauvage. L’homme est âgé, seul, triste, réglé comme du papier à musique. Isor va lui apporter du bazar, du bruit, de la fantaisie. Il va devoir s’adapter à cette enfant qui n’est pas ce à quoi il est habitué, qui le surprend et qui donne à sa vie une nouvelle lumière, une nouvelle saveur, une autre direction : c’est un itinéraire bis dans cette vieillesse qu’il pensait élancée sur une autoroute monotone vers la fin.
Isor et Lucien se sont trouvés l’un l’autre, mais aussi l’un grâce à l’autre. A la plus grande surprise des parents qui ne comprennent pas ce qui peut lier l’enfant au vieillard, ce qui nourrit cet amour : Maude est consternée, jalouse, triste. Camilio est curieux, enthousiaste, soulagé.
Le temps passe et le malheur frappe : Lucien fait un AVC. C’est ce qui va révéler Isor à elle-même et à ses parents, ce qui va la bousculer au plus profond de son identité et révéler à ses parents qui elle est vraiment et ce dont elle est capable.
« Un jour la vie vous fait une crasse, comme il n’est pas permis et quelque chose en vous ne se répare jamais - ça ne sert même à rien d’essayer »
Admettons-le sans aucune mauvaise foi : le bruit autour de ce premier roman est mérité. C’est juste, c’est émouvant, c’est intelligent. Les changements de styles narratifs et de points de vue permettent une vision d’ensemble mais de l’intérieur. Ce choix n’est pas sans rappeler le magnifique S’adapter de Dupont-Monod. Et le sujet de nous faire penser à Où on va papa ? de Fournier.
Que cache cette enfant, quel est son message, quelles sont ses motivations ? Les parents, tout à leur rôle de parents, sont dans l’émotion responsable, que ce soit l’amour et l’abnégation pour la maman ou la colère et la culpabilité pour le papa. Lucien lui, se laisse porter : Isor est une bouffée d'oxygène dans le carcan de sa vieillesse solitaire et triste. Isor est la liberté, les émotions sans filtre, sans limite, sans cadre. Isor fait ce qu’elle veut et Lucien la laisse vivre et ressentir. Il lui fait découvrir de nouvelles choses : les jeux, la musique, le lait au chocolat. Elle se laisse apprivoiser comme le renard du Petit Prince et lui apporte de l’amour, du réconfort. La sensation de revivre pour autrui, de compter pour quelqu’un, de devoir changer ses habitudes et finalement d’acquérir une deuxième chance, une certaine rédemption après un chagrin si grand qu’il ne le nomme jamais.
Ce premier roman est donc une explosion de sensations, de ressentis, d’émotions, de contradictions, d’amour et de surprises. C’est une volonté qui ne se brise pas, une rencontre qui va tout changer, une différence qui, acceptée, devient une force.
« Il y a longtemps, un jour, j’ai perdu ma place. Alors je fais ce que je peux avec les objets, qu’au moins les choses qui m’entourent, elles, ne soient pas égarées. »
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