David Foenkinos
« La plupart des écrivains ont l’air libidineux ou dépressifs. Parfois les deux. Je possédais donc (...) la tête de mon emploi. »
Le narrateur, auteur en manque d’inspiration, décide de faire de la première personne rencontrée le sujet de son prochain roman. Persuadé de tomber sur une jeune femme qu’il croise régulièrement, il fait finalement la rencontre de Madeleine, pimpante octogénaire. Lui présentant son projet, le narrateur est surpris de l’accueil qui lui est réservé par la vieille dame, ancienne petite main dans la grande couture qui prend plaisir à partager ses anecdotes sur Karl Lagerfeld pendant ses années Chanel. La fille de Madeleine, Valérie, voit d’abord d’un très mauvais œil cet écrivain qui risque de fatiguer sa mère avec ses questions et de la blesser en remuant un passé pas toujours très joyeux. Elle décide alors que ce biographe improvisé devra également écrire sur sa famille, les Martin. On fait ainsi la connaissance de cette prof d’histoire-géo, de son mari Patrick, cadre dans une société d’assurances et de leurs deux enfants, Lola 17 ans et Jérémie, 15 ans, tous deux rongés par ce mal étrange que l’on appelle l’adolescence.
Au fil des repas et des conversations, le narrateur prend conscience du potentiel romanesque de cette famille : les grands regrets de Madeleine, l’envie de surprise de Valérie, la peur de Patrick, les doutes de Lola et le manque de repères de Jérémie. Chacune de ces cinq personnes va nourrir la trame du roman qui s’écrit sous nos yeux, tandis que l’écrivain tente par tous les moyens de garder la distance nécessaire à la continuité de la vie des personnages et de ne pas verser dans l’autobiographie. Ce vœu pieux est voué à l’échec puisqu’il se rend compte, au fur et à mesure des échanges, que tout le ramène à ce qu’il a vécu, à ses remords, à ses manquements et à ses espoirs. La réalité est parfois bien plus surprenante que la fiction, surtout quand les personnages échappent au contrôle de l’écrivain !
« Quel rapport entretient-on au temps quand il devient compté ? »
Foenkinos, on le connaît, et ce depuis longtemps. Je dois admettre m’être un peu détachée de lui après une déception littéraire et c’est un peu par hasard que j’ai pris le temps de faire la connaissance de la Famille Martin.
Avec humour, délicatesse et respect pour ses lecteurs et ses personnages, l’auteur - le vrai - dévoile en même temps que son narrateur que chacun d’entre nous peut être le sujet d’un roman, d’une intrigue et que des destins et des histoires incroyables peuvent se croiser au coin de la rue, comme on croise sa voisine devant chez soi.
Les Martin sont une famille comme les autres, en apparences, et sans doute en profondeur aussi. Mais le quotidien de ces gens comme les autres est en fait passionnant et plein de petits rebondissements qui, bien narrés, deviennent passionnants. Du couple qui s’essouffle à la jeune fille qui craint de faire les mauvais choix en passant par la grand-mère qui cache un grand amour vieux de plus de 50 ans, tous ont quelque chose de particulier, de précieux.
En faisant parler les Martin pour nourrir son roman, le narrateur débloque quelque chose, fait bouger les lignes, sans aucun doute à l’insu de son plein gré, puisqu’il ne voulait que raconter, pas chambouler. Mais force est de constater qu’en libérant la parole des protagonistes, il a aussi libéré la volonté de changement et de mouvement, donnant à cette famille, dans son ensemble, un nouveau souffle.
Il y a eu un petit truc en trop, de mon point de vue, qui inclut un avion mais qui ne gâche en rien l’ambiance générale du texte, baignant dans la douceur et la bienveillance, sans être mièvre pour autant. Un très bon moment de lecture, sans prise de tête mais avec un nouvel éclairage sur la vie de tous les jours : nous sommes tous les héros des romans de nos vies, aussi insignifiantes puissent-elles nous paraître.
« la vie demeure le plus puissant des antidotes à la fiction »
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