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La leçon d'humilité

Malgré de grandes connaissances littéraires, le monde du livre est tellement vaste qu'on ne peut pas tout connaître. Et c'est tant mieux !



Mes aventures au monde merveilleux de la Bibliothèque continuent et m'offrent des opportunités de réflexions toujours plus intenses. L'été étant une période moins chargée en terme d'affluence de lecteurs, c'est aussi le moment des grands chantiers, des changements et de la réorganisation.

Ma charge, en ces quelques semaines pluvieuses de juillet, est de repenser le fond "littérature". Si vous avez bien lu mes précédents articles, vous n'êtes pas sans savoir que c'est un des "rayons" que j'ai à ma charge. C'est aussi celui que j'avoue avoir le plus de difficultés à appréhender.

En effet, c'est dans ces rayonnages que l'on va cataloguer tout ce qui est de l'ordre du théâtre, de la poésie, des essais, des biographies... on y trouve également de grands classiques tels que "Tristan et Iseult" ou des ouvrages sur les livres eux-mêmes. Je trouve très compliqué de savoir distinguer certaines catégories.

Exemple concret : "Limonov" d'Emmanuel Carrère est une biographie de l'auteur russe. Mais ici, il est rangé dans les romans, avec les autres ouvrages de Carrère. A contrario, on va trouver un livre sur George Sand en littérature par exemple.

Je me rends bien compte que tout cela est très subjectif et dépend de la sensibilité des personnes en charge des fonds, et je dois dire que j'ai encore des choses à apprendre et à accepter de ce côté-là.


"Il n'y a qu'une seule loi, qu'une seule voie pour se cultiver et s'élever par les livres: le respect de ce qu'on lit, la patiente volonté de comprendre, l'humilité de recevoir et d'écouter." Hermann Hesse


En outre, il a été décidé de faire l'impasse sur la classification Dewey sur ce rayon. Vous rappelez-vous de ce que j'avais remonté de ce classement ? Les livres sont triés par catégorie, chaque catégorie correspond à une centaine. Et à l'intérieur, il y a encore des ramifications. Ainsi, une pièce de théâtre Française sera classée en 842 mais un recueil de poésie Israëlite sera sous la cote 891. Ainsi donc, ces numéros que vous voyez inscrits sur ou dans les ouvrages quand vous vous rendez en médiathèque correspondent à quelque chose de très précis qui permet de savoir de quoi il s'agit exactement (quand on connait ça par cœur, ce qui n'est pas mon cas, mea culpa). Sauf que pour être honnête, ce rangement répond à une logique de bibliothécaire et non pas de lecteur. Combien d'entre nous connaissent la côte de "Beaucoup de Bruit pour Rien" de William Shakespeare ? Non, soyons honnêtes, on a besoin de simplicité :

  • T pour Théâtre

  • P pour Poésie

  • D pour Dictionnaire

  • E pour Essai,...

et ainsi de suite. Charge m'a donc été confiée de lister l'intégralité du fond Littérature et de tout reprendre selon une nouvelle codification qui sera plus simple à comprendre pour les usagers.

C'est une sacrée galère, je peux vous le dire. Mais en même temps, c'est une merveilleuse opportunité de faire des découvertes et d'ouvrir un peu son horizon de lectures et de connaissances. Il y a un peu plus de 1250 ouvrages sur ces étagères, et tous seront passés entre mes mains à un moment ou à un autre : que je sache de quoi il s'agit, de quoi ça parle, pour savoir dans quelle catégorie le classer. Et ce n'est que la première étape, parce qu'après, il y a la partie logistique :


  • Sortir les livres

  • Les passer un par un et saisir les nouvelles cotes dans le Système informatique

  • Imprimer les étiquettes destinées à la tranche des ouvrages

  • Nettoyer l'ouvrage, coller la nouvelle étiquette, protéger cette dernière,

  • Inscrire la nouvelle côte à l'intérieur du livre

  • Tout ranger par ordre alphabétique, enfin.

C'est un travail de longue haleine donc, mais au final, tout sera normalement plus simple par la suite.


 

Autre leçon d'humilité :



Je ne peux pas connaître l'intégralité de ce que contient la Bibliothèque. C'est un fait. Je ne sais pas exactement combien il y a de romans et de romans policiers sur mon lieu de travail mais le fait est que je n'aurais jamais assez de temps pour tout lire (et tout apprécier).

Au début, ça a été une des plus grandes difficultés que je rencontrai : accepter de ne pas savoir, accepter de ne pas tout connaître. Et finalement accepter de ne pas avoir envie de tout savoir, de tout connaître, de tout lire. Il y a des choses, franchement, NON.


Je brasse ici beaucoup de romans que je n'ai pas lus et que je ne lirai sans doute jamais. Mais accepter cela a été un grand pas vers la sérénité. Pour une fois, dans un job, on n'attend pas de moi que je sache tout. Les collègues et les lecteurs sont conscients des limites : loin d'être un problème, ce peut être une solution dans l'échange.

Je m'explique : à condition de rester ouvert au débat et à la discussion, on peut passer beaucoup de temps à parler des livres, à échanger sur le sujet et à trouver des points d'accroche entre plusieurs lecteurs. La fan de Danièle Steel trouve quelque chose dans les romans de cette auteure qui correspond peut-être à ce que peut offrir un thriller de Deon Meyer, par exemple.

Ce que je veux dire, c'est que même si je ne lis pas de Danièle Steele, en écoutant et en retenant ce que m'en disent les fans, je peux comprendre ce que ça leur apporte et je pourrais éventuellement en faire l'article si besoin. C'est ce qui est magique une fois qu'on a compris ça : accepter les goûts des autres, les écouter (vraiment) et faire des liens avec ce que l'on ressent soi-même pour être ensuite en capacité de transmettre à d'autres. C'est très "psychologie de comptoir", je l'admets, mais j'ai parfois l'impression d'être un maillage entre deux lecteurs, et c'est un rôle, une position, qui me plaît bien.


"Qui s'adonne à la lecture comme on écoute un ami verra les livres s'ouvrir à lui et devenir siens. Leur substance ne s'évanouira pas, ne se perdra pas ; elle l'accompagnera, elle lui appartiendra, le réjouira et le consolera comme seuls les amis savent le faire". Hermann Hesse

 

Ainsi, je continue de tirer non seulement du plaisir mais aussi et surtout beaucoup de connaissances dans ce nouvel ouvrage de ma collection professionnelle : l'envers du décor, la multitude des ressources disponibles, le puit sans fond qu'est le monde merveilleux de la littérature... mais aussi et surtout une acceptation de mes limites, de mes forces et de mes faiblesses. Pouvoir me lever tous les matins en me disant : "aujourd'hui, je vais apprendre quelque chose que j'ignorais hier" et en tirer satisfaction. Chaque journée à la bibliothèque est un privilège, une grande leçon d'humilité et la chance de reprendre confiance en moi : je ne sais pas tout et c'est OK !




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