Emmanuel Carrère
Je continue dans ma lignée de découverte de l’œuvre d’Emmanuel Carrère avec ce roman, écrit en 1985, et que l’auteur décrit lui-même dans Yoga comme étant le premier de ses écrits lisibles.
Un soir, avant d’aller dîner chez des amis, le personnage décide, sur un coup de tête, de raser la moustache qu’il porte depuis plus de 10 ans. Pensant surprendre son épouse, c’est lui qui est surpris par le manque de réaction de cette dernière. Et par l’indifférence du couple d’amis chez qui ils vont dîner, ainsi que de celle de ses collègues de travail.
Il s’interroge d’abord sur la santé mentale de sa femme, habituée des blagues et des canulars mais celui-ci est trop gros, implique trop de monde et prend des proportions tellement dramatiques qu’il n’y a plus de place pour autre chose que la fuite : fuir sa compagne, fuir ses amis, sa vie, sa ville, cette réalité qu’il ne reconnaît plus et qui l’effraie de plus en plus. Il ira chercher le réconfort imaginaire en Asie, et se laissera porter par un courant incontrôlable, le sien.
En lisant ce roman, j’ai souri, frémis, ri, été émue. Comme à chaque Carrère que je découvre. Mais il y a autre chose, du sens, un éclairage que j’ai de ce récit grâce à la lecture et l’écoute (plusieurs fois) attentive de Yoga, mon livre doudou depuis maintenant un peu plus de 8 mois.
Cette autre chose qui ne peut être ignorée et laissée de côté, c’est la folie.
La folie, et le mensonge. Ces deux caractéristiques sont prépondérantes dans tout ce que j’ai lu de cet auteur. Ils sont une sorte de fil rouge qui a imprégné et inspiré l’écrivain. La folie qui guette et attaque n’importe qui n’importe quand sous n’importe quel prétexte.
Ici, le rasage d’une moustache ; dans l’Adversaire, la découverte d’une supercherie de toute une vie (à moins que ce ne soit au moment même des études). Dans Limonov, c’est la recherche de la reconnaissance qui porte préjudice au Poète russe ; dans le Royaume, Carrère est lui-même victime d’une dépression qui le poussera dans la folie de la religion extrême… folie et mensonge donc, vont ensemble, se tenant par la main souvent, se relaient, se séparent, se retrouvent.
Déjà il y a trente ans, avec cette Moustache, l’auteur sème les graines d’un trouble psychiatrique pas si enfoui que ça et qui devait déjà le ronger, se doute-t-on à la lumière de Yoga. La démence et le désir de fuite en Asie (encore, ou déjà), l’espoir de s’en sortir, de trouver une solution, une rédemption?
Je sors une nouvelle fois bouleversée par ce que j’ai lu, et je me sens chanceuse d’avoir encore une fois eu accès à Emmanuel Carrère. Par la fiction peut-être, mais une fiction baignée de lui, de ses peurs, de ses névroses, de ses confessions et de ses (non) espoirs.
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