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La nièce du Taxidermiste

Khadija Delaval

Je continue sur ma préparation à la rentrée littéraire avec ce premier roman de Delaval sur la famille, la violence sexuelle et la Tunisie des années 1980.


« J’étais si habituée à cette dynamique qui m’excluait que je n’existais même pas à mes propres yeux. »

Baya a 12 ans. Comme tous les étés, elle est en Tunisie, à Hammamet, chez sa grand-mère avec toute sa famille : oncles, tantes, cousins, sœurs,... C’est un enfant calme, docile et obéissante, qui n’a pas vraiment de place, entre deux âges. Ses aînés ne la considèrent pas, ses cadets ne l'intéressent pas. Mais tout change à l’arrivée de ses premières règles. Elle ne s’y était pas préparée. Elle savait que ça allait arriver, bien sûr, mais ce qu’elle ignorait, c’est à quel point les choses allaient changer pour elle, la mesure dans laquelle le rapport aux autres, le regard des autres, allait être modifié. A partir de ce moment, elle devient intéressante en cela qu’elle est sexuée. La nièce du taxidermiste d’abord, l'aîné de ses cousins ensuite. Victime d’assauts sexuels, elle n’a pas conscience de l’ampleur, de la gravité des agressions qu’elle subit, prenant sur elle la responsabilité des actes d’autrui. Consciente malgré tout qu’elle doit se taire, garder le secret et protéger ses parents de la triste réalité familiale, elle va évoluer et se construire autour de ce mensonge par omission, chercher un équilibre pour que ces expériences traumatisantes ne les détruisent pas, elle et ses proches. Ce sera alors pour elle un apprentissage et le début d’une réflexion sur la famille et ses coutumes, ses silences, son poids, sa valeur. Son importance aussi.


«… grandir, devenir adulte et se marier ne changerait jamais rien à ce qui devait être tu. »

Ce premier roman est (sur)prenant. Par son écriture et son style, il est lourd. Très lourd. Difficile à lire. Il nécessite une grande disponibilité intellectuelle car il y a peu d’espace de respiration, pas de pause dans les (més)aventures de Baya. Sur deux ans, on suit l’entrée dans la puberté de cette adolescente fragile, sage et pleine de rage, comme tous les adolescents. Ce besoin d’exister, de se faire entendre. Cette fragilité face au changement, cette incompréhension : la modification du corps, des rapports humains, de la hiérarchie. Rien ne va plus, et il n’y a pas de mode d’emploi. Fort heureusement, toutes les gamines ne subissent pas les mêmes assauts que Baya, mais il ressort tout de même que dans les années 1980, ce n’était ni si rare, ni si grave que ça. Et ça pose là.

Comment faire ? Comment protéger nos filles ? Comment élever nos garçons ? Quels mots dire pour empêcher que l’aubergine ne tourne entre cousins/ amis/ proches ? Comment être attentif sans céder pour autant à la panique et à la paranoïa ? Même si je dois avouer avoir eu du mal avec la forme, le fond m’a interpellée. Peut-être parce que l’héroïne a l’âge de ma fille et qu’en tant que maman, je ne lui souhaite pas la même puberté que Baya ? Peut-être parce qu’en tant que petite sœur, je me dis que les choses ont changé (ouf) et que cela a dû être compliqué d’être une ado dans les années 1980 ? Mais aussi parce que ce roman, sous couvert de maltraitance entre jeunes, pose aussi l’importance et le poids de la famille. Cette famille (longue) qui est le premier terrain de sociabilisation, les cousins étant les premiers amis (parfois imposés), les habitudes, les interactions, les coutumes. L’acceptation aussi. Et par-dessus tout, la reconnaissance : celle de faire partie d’un clan, comme Baya, sans en souffrir.

A ses 20 ans, sept ans après son dernier été à Hammamet, elle comprend enfin où était sa place dans ce lignage. Elle prend conscience de ce que cela lui a apporté de bon. Elle ressent la fierté et la gratitude parce que cette famille, c’est elle, c’est ce qui a fait d’elle ce qu’elle est devenue. Ce qui transpire le plus dans chacune de ces pages : c’est que malgré tout, il y a l’amour.


« Dieu était un ‘’plus fort’’ (...) qui abusait lui aussi de son pouvoir mais il n’en restait pas moins que nous étions, d’une certaine manière, semblable lui et moi. »
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