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La nuit des pères

Gaëlle Josse


« Je me suis tenue droite et souriante, intacte. Dévastée mais intacte, propre et nette. »

À l’été 2020, Isabelle est appelée par son frère. Leur père ne va pas bien, il commence à être atteint par la maladie de l’oubli, il faut qu’elle vienne, qu’elle soit présente au moins un peu. Mais la cinéaste a peur. Peur de retourner là où elle a grandi, là où elle a subi le père, dans sa colère et sa distance. 

Dans le village de montagne, elle n’y va que pour un week-end. Suffisant après des années sans s’y être rendue. Suffisant, pense-t-elle, pour son paternel si froid et distant. Sur le trajet, pendant le séjour, elle se souvient : la peur, la hargne. Pas la violence, non, mais peut-être pire : le mépris. Ce père dont elle a attendu les gestes tendres, les mots d’encouragement, en vain. Ce père qui l’oppressait, refusait les larmes, les gestes tendres, les sourires mêmes. Ce père qui n’a jamais montré son amour pour elle.

Alors elle est là, pour un week-end, dans ce massif qu’elle a fui dès qu’elle a pu, portant avec elle ses souvenirs d’enfance et la douleur de la perte : sa mère, son mari, ses ambitions.

Elle prend sur elle et réapprend son père. Parce qu’au crépuscule de sa vie, alors qu’il sait la fin proche, il va dire, il va s’apaiser et se montrer sous son meilleur jour. Il va être le papa qu’Isabelle a toujours voulu qu’il soit.


« En toi les mots chutent et se fissurent, les visages s'évanouissent, le temps se décolore, tu sais ta déroute et tu sais qu'elle est sans retour. »

Après le mastodonte de Robert Menasse, j’avoue avoir eu du mal à rentrer dans cette histoire de famille, non plus légère mais moins universelle. Je me suis demandée où voulait en venir Josse, pourquoi elle tournait en rond de la sorte. Je ressentais de l'empathie pour Isabelle et Olivier, mais aussi pour ce père, qui avait forcément un secret pour s’être comporté de la sorte avec ses enfants. Et effectivement. 

Et puis il y a eu une sorte de déclic, quelques pages avant la fin. Quelque chose qui m’a fait comprendre qu’en fait, cette histoire, cette souffrance, n’était pas si singulière. Mais pas celle des enfants devenus adultes, non. Celle du père. Celle de la mère, l’absente, qui a fait front et tampon entre son mari et ses petits, par amour pour les deux camps. C’est une histoire qui peut toucher tout le monde quand on pense que nous sommes tous mortels, que nous perdrons ou avons tous perdu nos parents, que personne n’est éternel, et qu’une meilleure compréhension des uns et des autres peut permettre de finir le chemin ensemble de manière plus sereine et pleine d’amour. 

Cette fille qui avait si peur de son père et qui l’avait fui est finalement revenue à lui, par la force des choses et la pression du temps qui passe, de la fin inéluctable. Elle renoue avec lui mais aussi avec cette montagne dont elle vient et qui l’a vue grandir. Elle renoue avec ses chagrins, ses fuites. Elle se revoit enfant et revit ses émotions, mais à la lumière de ce qu’elle a vécu adulte, elles prennent un autre aspect. 

C’est un roman que j’aurais sans doute porté aux nues si je l’avais lu dans un autre contexte. Là, ma lecture a été quelque peu gâchée par le contexte et pourtant, je l’ai trouvé magnifique. Autant dire qu’il n’y a aucune raison de se priver d’un si beau roman, ode aux pères que l’on ne connaît pas toujours très bien et qu’il n’est jamais trop tard pour aimer… 


« Il n'y a pas de jour où je ne me suis demandé si les promesses faites aux mourants étaient plus importantes que les blessures des vivants. »

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