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La petite menteuse

Pascale Robert-Diard

« Bien sûr que mon mensonge me faisait souffrir. Plus je mentais, et plus je souffrais. Mais plus je souffrais et plus on me croyait. »

C’est, de mon point de vue, la meilleure façon de commencer ce retour de lecture. Le roman, lu dans le cadre de la préparation à la rentrée littéraire 2022, raconte comment Lisa, 21 ans, demande à une avocate chevronnée, Alice, de reprendre sa défense pour la procédure d’Appel de son procès aux assises. Quand la jeune femme avait 15 ans, elle a accusé un homme de l’avoir forcée à avoir des rapports sexuels. Ce dernier a été condamné à 10 ans de réclusion criminelle.

Au moment de l’Appel, Lisa veut se libérer d’un poids : celui du mensonge. Alors elle avoue à sa défenderesse - puis à la Cour - que Robert Lange n’a jamais abusé d’elle. Qu’il est en prison pour rien. Elle revient sur ses années de collège, sur ce qu’elle y a vécu, ce qu’elle y a subi, ce qu’elle a dû supporter quand son corps a commencé à changer. Comment son statut a évolué de petite fille à celui de salope. Et comment elle a souffert, dans son rapport aux autres et celui à elle-même. Alors, pour ne plus être la mauvaise fille, elle a voulu devenir la victime. Elle n’a pas eu à dire grand-chose, les adultes autour d’elle avaient tous trop besoin d’y croire : à sa vulnérabilité, à sa fragilité. Des professeurs aux agents de police en passant par les parents bien sûr et les thérapeutes, tous croient la gamine qui s’enfonce de plus en plus loin dans le mensonge et dans le chagrin, l’abîme se creusant toujours plus profondément autour d’elle.


« Ils éprouvaient intimement la puissance de ce lieu où les mots résonnent comme nulle part ailleurs. On les écoute et en même temps, on les voit tomber. »

Pour une première rencontre avec Pascale Robert-Diard, on peut dire que c’est d’une intensité peu commune. En prenant le parti de traiter d’une affabulation, la journaliste judiciaire du Monde pointe une chose essentielle : ce que nous voulons voir et croire, ce que nous sommes capables de voir et de croire. Notre capacité, ou incapacité, à pardonner et à regarder une situation dans son ensemble. Dès le début, on sait que Lisa a menti. Mais notre éthique - et celle d’Alice, l’avocate - nos convictions, nos ressentis sont en duel avec la justice, aveugle, concrète, factuelle.

L’auteure interroge nos émotions et celles des protagonistes. Elle pose la situation de Lisa et ce qui l’a poussée à faire et dire ce qu’elle a fait et dit. Elle repositionne l’enfant à sa place d’enfant, et l’adulte à la sienne également. Et elle nous interpelle : comment aurions-nous réagi en de telles circonstances ? Qu’aurions-nous fait ?

Après la catastrophe de l'Affaire d’Outreau (entre 1997 et 2000), on sait qu’un enfant est capable de mentir, mais le contexte actuel étant ce qu’il est depuis quelques années, il s’agit de s’interroger sur le droit et sur ce principe premier de la justice : Tout homme est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. Sauf que lorsqu’il s’agit de violences sexuelles, surtout sur mineur(e), où c’est tout l’inverse, du moins pour les médias et l'opinion publique.

Je me rends compte, au moment où j’écris ces lignes, que la réflexion que ce roman suscite est profonde, et laissera une trace. Que l’éducation que je donne à ma fille en sera modifiée : ne pas consentir si on ne veut pas, mais ne pas mentir. Ne pas condamner sur les bases d’un fantasme, d’une peur infondée ou d’un désir de reconnaissance.

Indélébile, la trace. Importante. Comme ce récit.

« Ah! L'ennui. S'il devait comparaître un jour, aucun palais ne serait assez grand pour accueillir son procès! »

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