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La plus secrète mémoire des hommes

Mohamed Mbougar Sarr


«… Plus on découvre un fragment du monde, mieux nous apparaît l’immensité de l’inconnu et de notre ignorance. »

Quelle joie, mais quelle joie, de constater que le Prix Goncourt de 2021, le plus prestigieux prix de la littérature française, a été attribué à un auteur Sénégalais. d’autant plus jouissif après avoir été confrontée aux horreurs du livre de Z la semaine précédente !

« … Un grand livre ne parle jamais de rien, et pourtant tout y est. (...) Un grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose aussi est déjà tout. »

Voilà. On pourrait s’arrêter à cette phrase pour résumer ce récit, ce roman d’une quête. La quête de Diégane, jeune auteur Sénégalais d’un autre auteur Sénégalais, ayant écrit le plus grand et le plus beau des romans en 1938. Diégane, en peine d’inspiration, va investir tout son être, tout son cœur, toutes ses tripes dans cette recherche de celui qui, après avoir défrayé la chronique par son talent, l’a soulevée pour une histoire de plagiat.

Diégane va rencontrer des personnes, qui ont rencontré des gens, qui ont parlé avec des individus, qui ont connu Elimane. Le roman de Mbougar Sarr est une mise en abîme constante dans le temps, le monde, les mœurs, les représentations, les idées reçues.

C'est des rencontres, des amours, des déceptions, des engouements, des réflexions. C’est de la littérature, tout simplement. Tout ne tient que dans cette question au final : quelle est la place, le rôle de la littérature ? En France, aux Pays-Bas, en Amérique du Sud, au Sénégal. En 1898, 1938, 1969, 2018…

« Est-ce qu’on parle de l’écriture ou de l’identité, du style ou des écrans médiatiques qui dispensent d’en avoir un, de la création littéraire ou du sensationnalisme de la personnalité ? »

J’avoue avoir parfois été quelque peu malmenée par l’écriture de Mbougar Sarr. Son niveau est très élevé, dans le sens où son expression respire l’érudition, le sens de la formule, l’amour des mots. Il maîtrise ses sujets, ses personnages, ses dialogues, ça se sent, mais on est parfois quand même un peu perdu : qui dit qui à qui à propos de qui. Avoir lu ce roman rapidement m’a permis de ne pas trop me perdre dans l’intrigue, et dans les différents protagonistes, leurs dialogues, leurs souvenirs, leurs traces dans le parcours de Diégane et l’intrigue.

J’ai parfois été rappelée au souvenir de L'ombre du Vent de Carlos Ruiz Zafon, sans vraiment savoir pourquoi. Cette recherche, ce mythe du Livre, tout ce qui gravite autour de lui et de son auteur. C’était une impression diffuse et pourtant tenace. Comme l’a été le fil qui m’a liée à ce récit.

« Le temps est assassin ? oui. Il crève en nous l’illusion que nos blessures sont uniques(...) Rien d’humain n’est unique. tout devient affreusement commun dans le temps. »

« La plus secrète mémoire des hommes » n’est pas un roman que l’on raconte, c’est un roman que l’on ressent, comme les odeurs, les goûts, les sentiments. Ce n’est pas une histoire que l’on transmet mais à laquelle on doit laisser le temps de nous imprégner, de nous envahir, de nous faire réfléchir. Ce n’est qu’au bout de ce processus que je pourrai dire si oui ou non j’ai aimé. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il a fait bouger quelque chose en moi, dans ma façon d’envisager les livres, la lecture, mon rapport aux auteurs. Il m’a fait voir autrement la dépendance voulue ou subie, la colonisation, l’obsession, la quête d’un autre pour mieux se trouver soi-même.


« Le monde est peuplé de derniers livres. Tous les grands textes sont des épitaphes possibles du monde. Le dernier livre de l’histoire ne cesse jamais d’être le prochain ; il a donc un passé long et déjà vieux devant lui. »

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