Damon Galgut
« Pour accepter une chose dont on a peur, il faut être capable de l’imaginer.»
Ce roman était en lui-même une promesse. L’action se déroule en Afrique du Sud et prend racine en 1986. Amor a 13 ans. Sa maman est morte, on vient la chercher au pensionnat pour l’enterrement. Elle retrouve son père, sa sœur Astrid et son frère Anton. Et se fait porteuse d’une promesse qui dérange : Pa a promis à Ma de léguer une partie des terres à Salome, la bonne de la famille, celle qui s’est occupée des enfants, de la maison, de la malade. La domestique noire qui a grandi et veillé sur la propriété et la famille. Mais personne n’écoute Amor, personne ne lui accorde le moindre crédit, et la promesse n’est pas tenue.
Les années passent. Les morts se succèdent. Amor s’accroche à cette promesse, sans jamais être entendue, elle qui sait pourtant si bien écouter, qui provoque la confidence sans le vouloir, qui suscite l’interrogation, la jalousie, l’agacement aussi. Elle fuit cette famille qui n’est pas à la hauteur, cette famille qui ne tient pas ses engagements, qui déçoit, comme le pays, les gouvernements qui se suivent sur les 31 années qui séparent le début de la fin du roman.
« Nous nous élevons de la nature à la culture, mais il faut lutter pour rester juché sur son perchoir, sinon la nature nous fait redescendre. »
Afrique-du-Sud, apartheid, Histoire, famille… Des mots prometteurs, engageants. Comme le bandeau rouge “Booker Prize 2021”. J’avais très envie de me plonger dans ce récit, vanté par beaucoup. Je suis sortie, comment dire, perturbée. Cette promesse non tenue, ce n’est pas seulement une traîtrise d’un homme à son épouse, c’est aussi le début des dissensions dans la famille et le reflet de la réalité d’un pays. La violence est partout, dans la rue comme dans les âmes, des moments d’intense réunification - comme la finale de la coupe du monde du Rugby en 1995 et toute la présidence de Mandela, remplissant les coeurs d’espoir - qui se perdent ensuite sous la corruption, une nation en souffrance qui ne sait pas comment se sortir de l’impasse du passé.
On retrouve (ou on croit le voir?) des références à des romans de références sur le racisme en général et de l’apartheid en particulier (Pleure Ô Pays Bien aimé, Au plus noir de la nuit,...). Des amours empêchés pour des histoires de couleur de peau : des amours charnels mais aussi des amours filiaux, comme dans La couleur des Sentiments.
L’écriture poétique a quelque chose de désordonné, qui déteint de toute évidence. On passe du “il” ou “elle” au “je” ou "tu''. On ne sait pas toujours qui parle, qui pense, qui agit, mais on sait, on sent qu’on fait partie d’un tout, d’un clan. Et que malgré les divagations, les sorties de routes, les changements de sujet ou de narrateur, on finira par retomber sur Amor, fil rouge, obstinée, entêtante et décidée à ce que la promesse soit tenue, quel que soit le temps que ça prendra.
« Mon problème (...) c’est que je n’ai jamais appris à vivre correctement. Les choses ont toujours été trop petites ou trop énormes, le monde pèse lourdement sur moi.»
Je ne regrette pas d’avoir lu ce roman, même si j’ai parfois eu la sensation de me perdre. Il a été un bon rappel historique, un retour en arrière nécessaire pour (re)prendre conscience de la réalité de la ségrégation, quel que soit le nom qu’on lui donne, de la valeur des attaches familiales, de l’importance du dialogue, lui qui permet de maintenir le lien et d’entretenir l’amour entre frère(s), soeur(s), parent(s).
« … S’opposer à la destinée est un gaspillage d’énergie, il se passera ce qui se passera, en dépit de votre Non.»
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