Claire Mathot

« Les histoires développent l’imagination. Elles apportent de l’évasion, de la détente et de l’instruction.»
Le village de C… est isolé, derrière un grand fleuve qui empêche les aller-retours entre ici et ailleurs. Dans la bourgade, chaque personne est définie par son Occupation : la Guérisseuse, le Maire, la Boulangère, le Chasseur. On ne vit que dans le respect de ce rôle, craignant d’être un jour destitué par autrui. La destitution se demande au Maire et donne lieu à un combat à mort entre celui qui réclame l’Occupation et celui qui l’occupe.
Un jour, un homme traverse le fleuve et exige de prendre la place de l’Aventurier. Ce dernier est déjà vieux et refuse de se battre, il déclare forfait et se retire, littéralement. Le Fossoyeur l’aide à creuser sa tombe et le mettra en terre en temps voulu. Mais l’ensevelisseur est curieux des inscriptions gravées sur les vieilles pierres tombales de son cimetière et il décide de demander au nouvel Aventurier de lui apprendre à déchiffrer l’ancienne langue. Lui qui vient d’ailleurs saura peut-être ce que signifient ces caractères. La jeune serveuse, elle aussi est intéressée et ne met pas longtemps avant de demander à bénéficier également de ces leçons contre quelques denrées alimentaires.
Ils auraient pu, tous les deux, demander à l'Écrivain, mais ce dernier est bizarre, renfermé et particulièrement agressif depuis l’arrivée du nouvel Aventurier. Parce que ce dernier n’est pas un étranger, il est un enfant du pays, le jeune Forgeron, qui avait quitté le village 30 ans auparavant avec la jeune (et belle Boulangère) et qui est revenu, fort de son expérience du monde en dehors de C… mais seul.
Ce retour, au début de l’hiver et de cette rude période qu’on appelle ici l’Isoloir, va faire bouger les lignes du village, déranger les habitudes, questionner les coutumes et mettre à mal l’équilibre de la population qui ne sait pas qu’elle vit dans la peur, continuellement.
« l’espoir est au cœur de la peur. La peur est au cœur de l’espoir. »
J’aurais pu passer à côté de ce premier roman s’il n’avait pas été présenté lors de la rentrée littéraire Page de décembre. Perdu au milieu de tous les mastodontes du mois de janvier, il gagne à être connu par ce qu’il décrit d’une société dans laquelle ce qui compte c’est le rôle aux dépens de l’identité. A C… les gens n’ont pas de nom, ils ont une Occupation. D’ailleurs, le village lui-même n’a pas de dénomination, il n’a qu’une lettre. Cette organisation dure depuis si longtemps, coupée du reste du monde, que plus personne ne se souvient des temps d’avant, quand les habitants avaient des dénominations et donc des singularités.
Dans une écriture simple et poétique, Claire Mathot dénonce ce système de profession, de caste, où même les Unions sont pensées en fonction des avantages que cela pourra apporter. Il est bien utile que la jeune Serveuse ait une aventure avec le Chasseur, car celui-ci apporte du gibier à la taverne. L'Écrivain ne crée rien, il est le scribe du village. Le Fossoyeur, étant celui qui enterre, est fui comme la mort. Et la mort elle-même est le passage obligé de la destitution. Pas de place pour le chagrin ou pour l’amour à C… car cela n’a pas d'intérêt dans la bonne marche de la société en place.
Pour s’aimer, pour s’élever, il faut se cacher ou fuir. Prendre le risque de quitter ce que l’on connaît, prendre le risque de perdre ce que l’on a, prendre le risque de vivre autre chose, ailleurs, et de pouvoir s’inventer l’existence que l’on souhaite, à défaut de la vivre pour de vrai.
Une jeune autrice à qui il faudra prêter attention à l’avenir tant ce premier roman regorge de lyrisme et d’inventivité.
« Les histoires ne doivent pas être prises trop au sérieux… elles servent seulement à transformer le réel quand celui-ci nous paraît insupportable. »
Comments