Richard Powers
« … l’autre monde est partout dans le monde, et les arbres aiment jouer avec l’esprit humain comme des gamins avec des scarabées. »
Six jours. C’est le temps qu’il m’aura fallu pour venir à bout de ce phénomène littéraire de plus de 700 pages sur le pouvoir de la forêt, la puissance des arbres et le courage de certains pour les défendre, coûte que coûte.
« Il y a cent mille espèces d'amour, inventées séparément, toujours plus ingénieuses, et chacune d'entre elles engendre des choses nouvelles. »
Neuf personnages que rien ne prédispose à se rencontrer, à se retrouver.
Le jeune artiste en devenir, Nick, descendant d’une longue lignée d’adorateurs d’un arbre, un seul. Olivia, une jeune femme morte par électrocution qui revient à la vie, guidée par les voix de ceux qu’elle doit protéger. Un vétéran de la guerre du VietNam, Douglas, qui se rend compte que les arbres qui bordent la route ne cachent pas la forêt mais le vide. Une ingénieure sino-américaine, Mimi, qui décide d’aller au combat contre la municipalité quand cette dernière décide d’abattre les pins qui poussent sous les fenêtres de son bureau. Adam, l’étudiant en psychologie, qui choisit comme sujet de thèse l’abandon de l’individualité au profit du collectif et qui rencontre à ce titre des groupes engagés dans la défense environnementale. Neelay, un codeur informatique, d’origine indienne et paralysé des jambes après une mauvaise chute, qui puise auprès des arbres de son université l’inspiration pour la création de nouveaux mondes, de nouveaux horizons, de nouveaux jeux. Patricia, une botaniste qui a, la première, affirmé que les arbres ont une conscience, une mémoire, une richesse de plusieurs milliers d’années et qui a été conspuée par la communauté scientifique avant d’être réhabilitée, des années plus tard, et est devenue une référence en sylviculture. Et enfin Ray et Dorothy, un couple bancal qui se retrouvent dans le handicap de Ray et qui trouvent la force de continuer grâce à leur jardin, seule fenêtre vers le monde extérieur.
Tous ont un lien avec la nature, la forêt, les arbres.
Tous sont liés les uns aux autres, voués à se rencontrer, ou non, à habiter la terre, à prendre conscience de l’importance des arbres, des forêts, de la préservation de l'environnement que sont les forêts à l’état brut.
« Il est des consolations que le plus fort amour humain est impuissant à offrir. »
Il est des romans qu’il est plus facile à lire que d’autres. Des pavés dans lesquels on se lance, la fleur au fusil, en se disant que depuis le temps qu’ils sont dans la bibliothèque, ce serait bien quand même que…
L’arbre Monde est de ceux-là. Ceux qui sont difficiles à lire mais que l’on ne peut lâcher pour rien au monde. Ceux qui nous découragent par la complexité de leur construction, par les ramifications alambiquées et distordues, complexes. Ceux qui nous mettent à l’épreuve et qui demandent une grande disponibilité intellectuelle pour comprendre non seulement les mots en eux-mêmes mais également le message plus profond dont ils sont les messagers.
Malgré quelques passages qui m’ont un peu interloquée et m’ont mise en colère par une certaine hypocrisie (il faudrait abattre moins d’arbres pour produire moins de papier et donc moins de livres, mais Richard, tu fais des bouquins de 700 pages vendus à plusieurs millions d’exemplaires, tu participes au carnage !), je l’ai fermé en étant, d’une certaine façon, une autre personne, avec un autre regard sur ce qui m’entoure, moi qui ai la chance d’habiter en milieu forestier.
« Ce que vous faites d'un arbre devrait être au moins aussi miraculeux que ce que vous avez abattu. »
Ce roman nous invite à nous poser de vraies questions, de bonnes questions. Que connaissons-nous de ce qui nous entoure ? Que connaissons-nous des arbres, des forêts, des univers qui composent les souches, les troncs. Jusqu’où ira l’humanité dans sa recherche de profit et de rentabilité ?
Le bois est une, si ce n’est LA plus importante matière première de la terre. Historiquement, c’est aussi la première. Les arbres ont survécu à toutes les catastrophes, toutes les métamorphoses, toutes les révolutions depuis la création de la Terre et, à l’échelle de l’Histoire, nous n’arrivons qu’à la toute fin, nous ne représentons qu'une petite heure. Et ces 60 minutes risquent de détruire ce que nous avons de plus précieux : la nature.
A vouloir des forêts propres, des maisons et des meubles en bois, nous participons à la production industrielle d’arbres voués à la destruction, à l’abattage. Pour dégager des espaces, pour protéger des espèces, nous faisons place nette, nous faisons tomber des êtres de plus de 2000 ans, en nous donnant bonne conscience : nous replanterons. Mais rien ne pourra remplacer ceux qui étaient là avant nous et qui pourraient nous survivre si seulement nous les laissions tranquilles, avec leurs racines, leurs branches, leurs restes.
Une grande leçon de vie que ce roman, un regard différent, éclairé, sur ce que l’homme a fait dans sa bêtise, mais aussi sur ce qu’il est encore possible de faire si nous nous y prenons maintenant, sans tarder, sans rechigner, sans nous déchirer. Oublier l’individu et épouser le collectif. Le vrai. La Planète Terre.
« C'est ça qui fait peur, chez les hommes : il suffit de les mettre ensemble avec quelques machines simples, et ils vous soulèvent le monde. »
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