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Le grand monde

Pierre Lemaitre

Le moins que l’on puisse dire, c’est que je l’ai - comme à chaque fois - beaucoup attendu ce nouveau roman de Pierre Lemaitre et que cette lecture, comme un grand mariage, laisse un petit goût de déception dans la bouche : avoir fait preuve de patience pendant si longtemps et hop, c’est déjà fini… quel dommage, c’était trop bien.

« Si tu expliques trois fois un truc à quelqu’un et qu’il ne le comprend pas, c’est un imbécile. Mais si, à la fin, il est certain de l’avoir compris mieux que toi, alors, tu as affaire à un con. »

La famille Pelletier. Le père Louis et son épouse Angèle. Soixantenaires, ils vivent à Beyrouth depuis une trentaine d’années. A la tête d’une usine florissante de savon, ils ont un train de vie qui leur permet de ne manquer de rien et d’en faire profiter leurs quatre enfants.


L'aîné, Jean, dit Bouboule, est aussi peu doué que son père l’est. Il compile à lui seul toutes les défaillances que les autres n’ont pas. Ajoutez à cela qu’il est mal marié à une mégère (Geneviève) qui régente tout et est maîtresse dans l’art de la fellation, ce qui lui permettra de bénéficier de pas mal d’avantages. Ils embarquent tous deux pour Paris où elle s’imagine qu’elle aura la grande vie mais où les incompétences de son mari leur causeront bien des déboires.

Ensuite, François. Il a prétexté vouloir (et pouvoir) entrer à Normal Sup pour rejoindre Paris lui aussi où il se rêve - et se réalise - journaliste dans la rubrique faits divers. Il tombe sur le scoop du siècle lorsqu’une jeune actrice très en vogue est assassinée dans le cinéma où il venait voir un film. Sur les lieux du crime, il a vite fait de s’emparer de l’affaire et en sera le “reporter” officiel pendant plusieurs mois.

Le troisième est Etienne. Homosexuel (soutenu par l’ensemble de sa famille, soit dit en passant), il est fou amoureux d’un légionnaire belge et quitte ses parents pour le rejoindre à Saïgon. Il est engagé à l’Agence des Monnaies où il met le nez dans un trafic des plus lucratifs.

« L’erreur serait de croire que Saigon est une ville. C’est un monde à part entière. (...) tout s’y donne libre cours sous l’autorité de la déesse absolue (...) à savoir Sa Majesté la Piastre ! »

Finalement, il y a Hélène. Petite délurée de 18 ans, qui prend ses cliques et ses claques pour fuir le tête à tête avec ses parents lorsqu’elle se retrouve seule avec eux au départ d’Etienne et qu’elle devrait répondre des conséquences désastreuses de certains ses actes.

Chacun des membres de cette famille attachante et surprenante porte en lui de lourds secrets. Voire même très lourds. Les enfants se débrouillent comme ils peuvent mais papa et maman ne sont jamais bien loin, comme une présence réconfortante et payante, dans tous les sens du terme (Geneviève l’a bien compris, elle!).

De rencontres en péripéties, on comprend comment tout finit par faire sens, par se rejoindre, et comment tous les six sont - en quelque sorte - des personnes courageuses, aimables et aimantes.


Comme à chaque fois avec Pierre Lemaitre, on va de surprise en plaisir, de rebondissements en émotions, ne sachant jamais vraiment où il va nous emmener, ce qu’il nous prépare, comment il va nous prendre de cours. Parce que ce n’est que ça, tout le temps, sur 580 pages. Et jamais on ne voit où il veut en venir, toujours on retrouve ce plaisir de se réaliser : “Mer**, je me suis encore fait balader comme une bleue”.

Cette écriture pleine d’humour et d’amour pour ses personnages, son sens de la description : ni trop ni trop peu, qui nous donne l’impression (et l’envie) de voyager.

Un esprit un poil tordu qui nous prend par surprise et nous régale à chaque fois.


« Une secte, ça tient du culte, de la bande armée, de la mafia, du gang et, du coup, ça ratisse large, ça devient une vraie puissance. »

J’appréhendais un peu cette nouvelle aventure, car après la série d’uppercuts de Camille Verhoeven (Travail soigné, Alex, Rosy et John, Artifices) et la somptueuse trilogie précédente (Au revoir là-haut, Couleurs de l’Incendie et Miroir de nos peines) - sans parler de ses “One shot” dont le délicieux Serpent Majuscule - je me demandais avec gourmandise ce que Pierre allait nous servir cette fois…

Je le dis haut et fort (même s’il paraît que je ne suis pas objective), à nouveau, je me suis régalée, délectée de cette lecture, de ces paysages, de ces protagonistes, de cette écriture si… si… je crois que là, je manque de mots. Comme à chaque fois, à peine le livre fini, il me manque déjà (et je vais donc le relire, où l’écouter d’ici peu).

Et comme à chaque fois, je n’ai qu’une envie, dire merci à ce magicien des mots et des intrigues, à cet écrivain qui porte si bien son nom : Le Maître…


« Elle n’avait jamais suffisamment de mouchoirs, on avait envie de lui tendre une serviette de bain. »


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