Grégoire Bouillier
« … au commencement, il n’y a jamais ce qu’on veut mais toujours ce dont on ne veut pas. Ce n’est pas forcément un bon début, mais c’est un début. »
Il y a quelques mois, Bmore s'est rendu au Musée de l'Orangerie, où sont exposés les gigantesques panneaux de Monet : Les Nymphéas. Devant cette profusion de couleurs et de flous, au milieu de ces œuvres monumentales, il s'est senti mal. Terriblement mal. Oppressé. Angoissé. Il lui fallait sortir immédiatement..
Une fois dehors, une fois le souffle et les esprits repris, il lui est venue en tête cette question : Pourquoi ? Comment expliquer cet accès soudain de panique ? Que lui ont fait les Nymphéas pour le mettre dans un tel état ? Contre l’avis de sa fidèle assistante Penny, il décide donc de se lancer dans une enquête approfondie de ce qu’il nomme “Le Syndrôme de l’Orangerie” et de ses causes. Après tout, il y a presque 100 mètres linéaires, on peut donc supposer que cette quantité de peinture aura des choses à révéler à celui qui se penchera dessus avec suffisamment de sérieux, un bon zoom et une part d'obsession compulsive.
Le malaise ressenti dans la salle aux Nymphéas est donc l’occasion pour le narrateur de se pencher vraiment très avant sur Monet, l’homme, le peintre, le mari, l’amant, le chef de famille, le travailleur, le témoin de son temps. L’ami de Clémenceau, le fils d’un père qui le désavouait et le père d’un fils mort prématurément.
« Dans le genre fait divers, la guerre est le plus monstrueux. »
Alternant entre faits vérifiés et purs délires issus de son imagination débordante, Bmore retrace l’Histoire, la genèse, la vie du peintre et les secrets de l'œuvre qu’il a composée pendant des dizaines d’années, créant un mouvement involontairement, le principe de série, qui connaîtra son heure de gloire (aussi) avec Warhol (pour ne citer que lui).
Et en partant à la recherche de ce qui a causé ce malaise, ce syndrome de l’Orangerie, l’auteur-narrateur-détective part aussi de-ci et de-là : Auschwitz, Giverny (bien évidemment), la prison de N (mais ça, c’était avant), et surtout, surtout, dans son passé à lui, ses sentiments, son vécu, ses sentiments, ses traumatismes et quelques joies.
Invitation à découvrir le peintre et sa vie, ce récit à la première personne offre des perspectives inédites et rocambolesques sur Monet et tout ce qu’il a réussi non seulement à peindre mais aussi à créer, à innover et à cacher dans ses Nymphéas, ses portraits de Camille, sa maison de Giverny.
« la beauté survenait par effraction et d'aucune autre manière. La beauté, elle était une faille du temps, une anomalie spatio-temporelle, ou elle n'était rien ! »
Je ne cache plus mon admiration pour Grégoire Bouillier depuis deux ans maintenant et la plongée dans son cœur qui ne ne cède pas. Depuis la sortie de ce dernier volume de près de 1000 pages, j’ai eu le temps de lire TOUT Bouillier, notamment le gigantissime Dossier M. Et bien vous savez quoi ? Je l’aime toujours autant.
Je dirais même plus, je suis subjuguée. Parce que se lancer dans l’histoire de Marcelle Pichon, c’est une chose, mais s’attaquer à Monet, ça c’est sacrément couillu ! Loin de moi l’idée de nier le drame de Marcelle, mais Monet, c’est Monet ! Géant de l'impressionnisme, un des plus grands artistes-peintres du pays, pour ne pas dire du monde, il représente un sacré défi pour qui veut s’offrir un délire ! Alors oui, un autre a mis en lumière Giverny dans ses Nymphéas Noirs, mais ça restait de la fiction. Ici, Bouillier aimait des hypothèses, farfelues, mais qui se tiennent sur ce que le peintre a pu vivre et ressentir, ce qui l’a poussé dans telle ou telle direction de son processus créatif.
« Il faut se méfier des gens malheureux, surtout lorsqu'ils ont du génie : ils sont des révolutionnaires, des anarchistes, des ravageurs des villes. Le chagrin ne reste jamais lettre morte. »
A travers les nymphéas, on ressent que ce que cherche Bouillier, c’est comprendre l’homme Monet et son rapport aux drames qui ont ponctué sa longue vie. C’est le jeune homme sans le sou, le père endeuillé, l’amoureux transi, le veuf, l’amant… La question de l’amour est effectivement omniprésente, particulièrement prégnante dans ces pages. Parce que l’auteur- narrateur-détective est curieux, on comprend qu’à travers ce syndrome, c’est une nouvelle fois à la recherche de lui-même qu’il part. C’est un morceau de lui qu’il donne à voir, mais de façon plus subtile que dans le Dossier.
Par ailleurs, les nombreuses références littéraires (à ses propres écrits aussi), cinématographiques, picturales, musicales, sont autant de manières de nouer un lien avec le lecteur, de le pousser à chercher, à s’interroger, à se cultiver aussi. Je regrette qu’il n’y ait pas, comme pour “Le coeur” et “Le dossier” de site pour augmenter l’enquête, car il y aurait eu de quoi le nourrir, largement !
Enfin voilà. Un nouveau Bouillier que j’attendais avec impatience, que j’ai littéralement dévoré, que je relirai certainement (bah oui, je suis adepte de la relecture quand on va trop vite dans la première plongée). Je conseillerai encore et encore et encore cette superbe enquête au cœur des plantes, des couleurs, des deuils et des amours…
« S'il y a une vie après la mort, elle est dans les livres, elle est dans la peinture, elle est dans les arts. Nulle part ailleurs. »
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