Olivier Mak-Bouchard
« Chaque invention technologique produit son lot de destruction créatrice : la destruction d’un ancien dogme, reposant sur des anciennes certitudes, suivi de la création d’un ordre nouveau, plus large, qui se base sur le socle de nouvelles vérités.»
Un jour, on ne sait pas vraiment quand, plus aucun humain n’apparaît sur les photos. Rien à faire, les photos sont prises mais il n’y a personne dessus. Pareil pour les vidéos. Aucun portrait. L’explication donnée par l’homme le plus riche du monde est qu’il y a trop de données dans le Cloud, le nuage est plein à craquer. Et ça ne loupe pas : quelques mois plus tard, le nuage explose et il commence à y avoir des averses de grêlons. Ces grêlons ne sont pas des boules de glaces mais des personnes prises en photos ou filmées au début de la création de la prise de vue. Et petit à petit, il y a de plus en plus d’intempéries et donc de grêlons qui apparaissent : de parfaits inconnus ou des personnages illustres, tels Victor Hugo, Adolphe Hitler et surtout Arthur Rimbaud.
Que faire de toutes ces personnes surgies du passé, incapable de quoique ce soit jusqu’à ce qu’elles soient illuminées, comprendre qu’elles reprennent conscience ?
Le narrateur est d’abord un collégien puis un ado et enfin un jeune adulte. Un peu simplet mais gentil comme tout, il vit seul avec sa mère depuis la mort de son père, photographe de profession. Après l’obtention laborieuse de son bac, il devient animateur dans un centre d’accueil de grêlons. Il est chargé de les occuper et de les accompagner vers l’illumination. Mais il arrive toujours de plus en plus de grêlons, et le narrateur voit l’organisation du centre d’accueil se modifier en même temps que la société, les gouvernements, la gestion de crise. Il doit sans cesse s’adapter, voir ses amis d’enfance changer et prendre des directions diamétralement opposées, le tout accompagné par l’Arthur Rimbaud, revenu du passé, ami discret et capricieux auquel il se sent redevable puisque l’épreuve du bac portait sur le jeune poète.
«"Je suis physicienne de formation, et je peux vous dire que Dieu ne joue pas aux dés". (...) D'accord, ai-je pensé, mais peut-être que le petit Jésus jouait aux billes.»
Autant j’avais beaucoup aimé Le dit-du-mistral, autant j’ai adoré Le temps des grêlons. L’auteur s’est complètement renouvelé, et sous couvert d’une histoire racontée de façon naïve et sincère, il dénonce les travers de la société moderne. La culture du selfie, de la photo, des données, le tout stocké, envoyer vers des nuages que l’on ne pense pas polluants, jusqu’à ce qu’ils explosent en énormes orages. C’est une manière très métaphorique de nous mettre en garde contre les nouvelles technologies et les conséquences que notre aveuglement peut avoir non seulement sur les comportements mais également sur les courants politiques et l’environnement.
On entend de plus en plus parler du stockage des données, en partie responsables du réchauffement climatique. De manière poétique et sensible, Olivier Mak-Bouchard décrit ce qui risque d’arriver si nous n’avons pas des comportements plus responsables.
Le dit-du-mistral avait l’authenticité des romans de Serge Joncour, ce nouveau récit a, d’une certaine manière, la naïveté et la sincérité de La vie devant soi, avec une intégration du contexte et de la modernité.
C’est un roman qui se lit vite et qui fait réfléchir, se poser des questions et qui confirme le talent de l’auteur.
« C’est la réalité des photos qui sont sur mon cœur que je veux/ Cette réalité seule, elle seule, et rien d’autre/ Mon cœur le répète sans cesse comme une bouche d’orateur et le redit / À chaque battement/ Toutes les autres images du monde sont fausses/ Elles n’ont pas d’autre apparence que celle des fantômes » G. Apollinaire
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