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Le vertige des falaises

Gilles Paris

Petite pause entre deux lectures professionnelles : je me permets un plaisir personnel. En plongeant du haut des falaises de ma bibliothèque, j'ai atterri sur ce roman, acquis à Saint Maur en Poche en juin, et conseillé par l'auteur lui-même. Il faudra que je pense à le remercier !


« Les hommes sont des enfants qui grandissent malgré eux. Et Dieu sait combien leur bêtise est sans limites. Certes, ils ne cassent plus de jouets. Ils brisent le cœur des femmes. »

Une île. Où? On ne nous le dit pas. Quand? Mystère également. Le flou entoure cette île et ses habitants comme la brume. Au bord des falaises, une maison d’architecte, toute de glace et d’acier. Une construction en transparence qui cache pourtant bien des secrets. Ici vivent Olivia, Marnie, Prudence et Rose. Respectivement la grand-mère paternelle, la petite fille, la gouvernante et la mère, malade d’un cancer. Les hommes de la maison sont morts. Le grand-père, Aristide, d’une crise cardiaque. Le père de Marnie d’un accident de voiture.

L’adolescente et la vieille dame sont les principales narratrices de ce roman choral mais d’autres personnages font leur apparition et témoignent de leurs liens et leurs ressentis sur la famille Mortemer : le médecin Géraud, le prêtre Côme, la fleuriste Agatha, le coiffeur Mano… petit à petit, la famille se dévoile et se défait de ses apparences : richesse, succès ne sont que des artifices qui cachent bien des horreurs. Violence, abandon, adultère, j’en passe et des meilleurs.

Avec le continent à l’horizon, cette famille de femmes est un microcosme qui revit sans les hommes. Qui s'épanouit sans ses hommes. Page après page, chapitre après chapitre, le brouillard se lève, et le lecteur découvre la vérité.


« … j’ai appris à me méfier des sourires. Ce sont des masques qui cachent la vraie nature de ceux qui les portent. »

Je dois avouer que dans un premier temps, j'ai été quelque peu ennuyée. Je ne voyais pas, ne comprenais pas où l'auteur voulait m'emmener. Marnie, adolescente sauvage, ne se laisse pas facilement approcher, mais elle approche tout, tout le monde, toutes les pièces, tous les secrets. Elle a quatorze ans, elle a cent ans, comme elle le répète plusieurs fois. C'est une gamine qui a du passif comme le dirait un psy. Mais c'est une gamine qui a du mérite, et la chance d'avoir une grand-mère puissante, aimante, prête à tout et à tout accepter pour protéger l'enfant. Petit à petit, tout fait sens. Petit à petit, l'atmosphère oppressante, chargée de deuil et de rancunes s'explique et se livre.

A la fermeture du roman, j'ai pensé à Rebecca de Daphné du Maurier. Un huis clos, des mystères, des incompréhensions, que le lecteur démêle petit à petit, au rythme des confessions et en rattachant les morceaux, les témoignages. Inconfortable dans les premiers chapitres, il devient palpitant dans son dernier tiers. Le phrasé, les tons maîtrisés des différents narrateurs prennent aux tripes, et on se surprend à aimer être sur l'île avec Marnie et les autres. On s'y sent en sécurité. Un roman auquel il faut donner sa chance et avec lequel il faut être patient. Comme avec un enfant.


« La vie est trop courte pour ne pas profiter de la nuit. »

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