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Les deux visages du monde

David Joy

« Savoir de qui descendait et d’où venait quelqu’un vous disait tout ce que vous aviez besoin de connaître. »

Dans la petite ville de Sylva, en Caroline du Nord, la vie est paisible. Tout le monde vit ensemble, au gré des saisons et dans une apparente harmonie. Jusqu’à l’été 2019.

Dans la même période, deux personnes vont arriver dans la bourgade et en bouleverser la tranquillité. Il y a d’abord Toya, petite fille de Vess Jones, une femme noire très impliquée dans son église. La jeune étudiante en art est en résidence à l’université et ses oeuvres visent à renvoyer à la communauté son passé ségrégationniste. Un passif que beaucoup auraient préféré voir resté sous le tapis, d’autant plus que le racisme n’est pas mort, il est juste plus discret.

Dans le même temps, un marginal, venu du Mississippi, se fait arrêter par les forces de l’ordre. Dans son coffre, au milieu des détritus, une tenue du KuKluxKlan ainsi qu’un petit carnet contenant les noms de personnes influentes dans la communauté. L’adjoint du Shérif ayant procédé à l’interpellation est troublé d’y trouver le nom du chef de la police et, lorsqu’il tente d’y voir plus clair et de mener sa petite enquête, il en est vite empêché.

Quant à Toya, elle s’en prend à la statue d’un célèbre confédéré de la ville, la barbouillant de peinture rouge pour signifier le sang versé par ces mains d’esclavagiste, et remue de cette façon en chacun des émotions contradictoires : la honte, la peur, la colère. La plupart des blancs sont fiers de leur état, de leur ville, et ne supportent pas qu’on puisse salir la mémoire de leurs ancêtres, de leurs racines

Deux incidents de grave ampleur vont mettre à mal la tranquillité de surface de la ville, obligeant les uns et les autres à regarder la réalité en face : celle du racisme ordinaire et de la perpétuité de certaines valeurs qui ne sont plus les bienvenues dans l’époque du « Black Lives Matter ».


« On peut être fier d’où l’on vient et pas de tout ce que l’histoire implique. C’est ce que tant de ces gens semblent pas capables de piger. »

David Joy est un nom qui est de plus en plus plébiscité dans le monde littéraire américain, au même titre que Jim Harrison ou Toni Morrison.

Dépeignant une Amérique pleine de contradictions et pas toujours tournée vers l’avenir et les droits civiques, c’est aussi un pays attaché à ses valeurs, à son Histoire, même la plus courte. Ici, le rappel incessant de la guerre de Sécession (qui n’a duré que 4 ans mais reste gravée dans toutes les mémoires) est un ancrage : les états Confédérés partageaient la même vision des personnes noires et luttaient ensemble contre l’abolition de l’esclavage. Aujourd’hui, les habitants des états concernés se revendiquent du drapeau mais sans toujours savoir ce qu’il y a vraiment derrière. Quant à ceux qui savent, c’est encore pire. Et c’est là qu’intervient la présence toujours actuelle du KKK qui agit de manière plus discrète mais néanmoins toujours violente, et la question non moins dérangeante du racisme ordinaire. Sur ce point en particulier, j’ai retrouvé des réflexions déjà exposées par Picoult dans Mille Petits Riens, roman édifiant s’il en est.

Bref, David Joy nous embarque dans cette petite ville chamboulée de Caroline du Nord, nous fait visiter les lieux, rencontrer les personnages, nous étonner des habitudes et découvrir les ambivalences et les malaises. C’est dépaysant et sournois, c’est un portrait acide d’une partie de l’Amérique qui ne veut ni voir, ni entendre (ni comprendre) que les temps changent et que non, la vie n’est pas facile pour tout le monde et que le pouvoir ne réside pas dans la fortune mais bien davantage, encore et toujours, dans la couleur de peau.

C’est un roman qui transporte et qui fait réfléchir qui veut bien se poser les bonnes questions. Un roman à lire !


« Rien n’était ni tout noir ni tout blanc, c’était gris, et le gris était en plus terrifiant car trop souvent il n’offre pas de points de repère. »

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