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Les égarés

Ayana Mathis

« Je crois que j’étais pas contre le fait de mourir autant que j’aurais dû l’être »

Philadelphie, 1988. Dans la nuit, dans le froid, Toussaint Wright, 13 ans, arrive au 248 Ephraim Avenue, où il a vécu quelques mois, deux ans auparavant. Il a un but, rejoindre l’Alabama où l’attend Dutchess. De toute façon, il n’y a plus rien ni plus personne ici pour lui, il est seul. 

1985. Ava, la mère du garçon, a été mise à la porte par son mari avec son fils. Le père de ce dernier a débarqué un beau jour devant la porte de la maison du New Jersey. Depuis, elle n’a nulle part où aller, alors comme Cass a évoqué Philly, elle s’est dit que c’était là qu’elle devait aller. Mais la ville est grande. Mère et fils trouvent une solution de secours dans un refuge pour sans-abris, mais Ava est bien trop fière pour accepter son sort. Elle ne se mélange pas aux autres résidents, refuse de se plier aux règles et, petit à petit, sombre dans une dépression qui l’empêche de voir que son garçon, lui aussi, s’enfonce dans le chagrin et délaisse l’école. Quand elle réalise qu’elle est au pied du mur, elle se résout à rentrer à Bonaparte, où vit Dutchess, sa mère. Mais c‘était sans compter sur la réapparition soudaine de Cass. Celui-là même dont elle a été folle amoureuse, qui lui a fait un enfant (qu’il n’avait jamais vu avec le New-Jersey) et qui embarque la femme et l’enfant dans l’enfermement sectaire de l’Arche. 

Au 248 Ephraim Avenue, l’ancien médecin a décidé qu’il édifierait une communauté basée sur le partage, le travail, la méfiance envers les institutions et le gouvernement. Les règles se durcissent, Cass devient de plus en plus strict et augmente son emprise sur son fils qui n’en peut plus d’être baladé au gré des caprices des adultes qui l’entourent. Il n’a qu’une envie, retrouver une vie normale, aller au collège, rencontrer sa grand-mère dont on lui a tant parlé. Cette grand-mère qui continue de se battre pour préserver ses terres à Bonaparte, Alabama. Des terres qui ont coûté la vie à son mari, qui ne valent pas grand chose, mais qui témoignent de la liberté de cette communauté noire du sud des Etats-unis dont plus grand chose ne subsiste. 


« … les enfants remarquent à peine ces mamans jusqu’à ce qu’elles soient toutes froides dans leurs tombes. »

Avec ce second roman, Ayana Mathis revient sur la condition des afro-américains dans le nord des Etats-Unis en général, à Philadelphie en particulier. Alors que les lois Jim Crow ne sont plus en vigueur, de nombreux noirs restent persuadés que l’herbe sera plus verte et la vie plus douce dans le nord, mais ils déchantent vite. En mettant en miroir les difficultés d’Ava et les terres, pour ne pas l’autosuffisance de Dutchess qui est restée en Alabama, l’auteure brise le mythe, les représentations communes. La grand-mère n’a pas eu une vie facile, mais au moins, elle est chez elle, sur ses terres. Elle se souvient de ses années d’errance, de cabaret en club, avant la rencontre avec Caro, celui qu’elle a épousé et qui a élevé Ava comme sa propre fille avant d’être tué par les blancs de la ville voisine. 

Ava a fait le choix de fuir cette vie rurale, ce village de combattant. Elle avait des rêves de grandeur, de grandes ambitions et finalement quoi… mère célbataire, vagabondant de ville en ville, de job en job, jusqu’à ce qu’elle se marie et voit tout ce nouvel équilibre se casser la figure, encore une fois. 

C’est un roman qui est difficile à lire car il est long, il traîne, il se traîne. Mais il y a un sens à cette lenteur : la chaleur de Philadelphie et de Bonaparte, l’ennui de l’attente, la peur de l’inconnu. Nous lecteurs savons comment Toussaint finira, alors que lui nourrit des espoirs de chapitre en chapitre. On attend le drame, et l’écriture, la narration, joue avec nos attentes, nous fait languir, on s'impatiente. Comme Elizabeth George dans Anatomie d’un crime, Ayana Mathis décortique tout ce qui mène à cet enfant, seul dans les décombres d’une maison brûlée, et décidé à quitter ce nord qui ne lui apporte aucune satisfaction… 


« On ne peut pas en vouloir à une chose de suivre sa nature. On pourrait même l’aimer davantage, d’être si puissamment elle-même. »

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