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Les faiseurs d'anges

Martine Van Woerkens

« Selon moi, le premier péché, le plus impardonnable, est d’avoir amputé Maris de ses attributs féminins, d’en avoir fait une vierge éternelle…»

C’est parti pour la rentrée littéraire de l’automne 2023 ! Je me lance dans cette nouvelle saison avec ce premier roman, sorti chez Sabine Wespieser, maison d’édition exigeante s’il en est.


« Comme (...) s’il fallait à tout prix recouvrir du voile sacré la violence et le sadisme pour les représenter, leur donner sens et, finalement, s’y résigner. »

Nous sommes à Paris, en 1967. Jeanne consulte à la Pitié-Salpêtrière pour des douleurs gynécologiques violentes, récurrentes et effrayantes. Les médecins sont patients mais un peu condescendants, elle doit se faire opérer. De quoi, on ne sait pas vraiment. Mais on comprend qu’elle a subi, quatre ans auparavant, un avortement clandestin et tardif, qui lui a laissé de graves traces. Entre présent et souvenirs, on navigue entre les causes et les conséquences. Les causes sont multiples : un manque d’éducation, un amoureux pressent et un beau-père médecin traitant qui n’est pas très regardant sur la sexualité de son fils et n’hésite pas à intervenir pour prévenir ou arrêter des grossesses chez la petite copine.

La dernière intervention se fait trop tard, il faut agir plusieurs fois, et elle laisse Jeanne exsangue, épuisée, tant par cet ami qui la délaisse pour ses amis, la drogue et la délinquance que par ces intrusions qui abîment son corps et son cœur.

Confrontée à la réalité de ce qu’elle a subi quatre ans auparavant, elle va s’engager dans la cause féministe, les combats des femmes pour disposer librement de leurs corps : le droit à l’avortement, la contraception, le désir d’enfants aussi. Et quand elle rencontrera Reda, quelques années plus tard, c’est à ce désir, ce besoin qu’elle va devoir faire face une nouvelle fois. Mais plus toute seule. Alors commence un autre combat, différent mais pas moins dur.


« Jeanne voulait tout flinguer. C’est elle qui l’était. »

Les premières pages de ce premier roman sont particulièrement prometteuses. On est confrontés très rapidement à la condition des femmes dans les années 1960, à l’interdiction légale d’avorter mais aussi à la compréhension, la bienveillance de certains médecins et autres soignants. Quand des charlatans ont tout cassé sans aucune considération pour le corps malade, d’autres tentent de réparer, de soulager des douleurs qui ne s’avèrent pas uniquement physiques.

Et puis c’est un contexte : on a le droit d’être amoureux mais pas jusqu’au bout. Il faut avant tout respecter les enseignements religieux, 60 ans après la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Les filles sont forcément les fautives, elles ne méritent pas grande considération et ne parlons pas de respect. Jeanne doit faire face à cette réalité : elle ne sera pas soutenue par sa mère, elle est abandonnée par son amoureux, malmenée par le père médecin. C’est dur mais c’est la réalité de cette période.

Et puis à un moment, tout est chamboulé. Et j’ai perdu le fil. Littéralement. Je n’ai pas compris le rythme qui s’emballait, les années qui passaient sans que nous sachions ni où ni comment. De 1967, on passe à 1975 et la loi Veil pour le droit à l’avortement. Reda entre dans la danse et avec lui une autre problématique, celle de l'Algérie. Mais, pourquoi ? Qu’est-ce que ça apporte au récit ? Quelle est la valeur ajoutée du passé traumatisant de ce bel homme, engagé, doux, amoureux et ambitieux ? On n’avait pas assez des problèmes de Jeanne, de leurs problèmes de couple ? Il en fallait encore ? C’est là que je me suis sentie dépassée.

Indépendamment l’une de l’autre, les deux trajectoires sont passionnantes, ensemble c’est écœurant, il y a trop de malheurs en trop peu de place, trop peu de pages. Comme dans Une somme humaine d’Orcel, trop de malheurs ne créent pas la compassion mais au contraire, l’agacement.

Et c’est bien dommage car il y a vraiment de quoi passionner dans ce court roman !


« Dans son cœur, tous les abandons se confondent, ceux qu’elle a subis, celui qu’elle a commis. C’est un seul et même chagrin.»

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