Emmanuel Cortez
« Elle voulait être amoureuse, pas être une épouse. »
1994. Dans un petit village en haut d’une colline du Rwanda, Marie-Ange est la dernière d'une fratrie de quatre enfants, la seule fille. Elle est aimée et aimante. Elle adore l’école et les livres. Quand la tournure des événements devient aussi tragique qu’on s’en souvient, sa famille, Tutsie, se réfugie dans l'Église. On l’enjoint à fuir avec son frère aîné, Paul, pour avoir la vie sauve. La peur et le chagrin chevillés au corps, ils prennent la route au péril de leurs vies et arrivent finalement dans un camp de réfugiés, du côté de Birambo. Sauvée in extremis d’un viol par Enguerrand, jeune militaire français en poste dans le cadre de l’oépration Turquoise, elle en tombe vite amoureuse et ce qui devait arriver arrive. Une nuit, une seule, avant que le capitaine ne reprenne la route vers la France où il aura tôt fait de mettre tout ça derrière lui, traumatisé par ce qu’il a vu du génocide.
Les années passent. Marie-Ange a perdu toute sa famille, y compris Paul qui a sombré dans l’alcool et la colère. Ne lui reste que Jean-Jacques, son fils, fruit de cette nuit d’amour avec Enguerrand. Elle le couve et lui dédie sa vie mais ne peut le protéger des brimades liées à son état de métisse. Très vite, le garçon décide de quitter l’école et il se lie d’amitié avec Pierre, fils prétentieux d’un colonel qui ne l’est pas moins. Le jeune homme commence à se rendre indispensable, effectuant des livraisons de-ci de-là, ne posant aucune question.
En 2008, Jean-Jacques a 23 ans. Il accepte une mission de confiance confiée par le Colonel : livrer en France une mallette contenant des documents confidentiels de la plus haute importance. Pierre est en colère, pourquoi son père ne l’envoie-t-il pas lui ? Il se résout, Jean-Jacques a l’intention de profiter de son séjour pour retrouver la trace de son père, ce militaire blanc qui ignore tout de son existence. Il espère trouver un équilibre, combler le manque qui le ronge.
Mais ce qu’il va trouver à l’arrivée en France, ce sont les Douanes, les contrôles, de la drogue coupée dans la mallette qui lui a été confiée et l’incarcération. A partir de là, tout prend une dimension rocambolesque et sa vie, ainsi que celle de sa mère, prend une direction inattendue dont les racines sont plantées juste après le génocide, quand Marie-Ange a accouché…
« c’est l’instinct maternel. Nous avons porté nos enfants dans notre ventre, notre sang s’est mêlé au leur…»
C’est une preuve de confiance flatteuse que de demander de lire ce roman. Passionnée d’Histoire et très sensible au sujet du génocide au Rwanda, je me suis dit que c’était là une opportunité d’en apprendre plus, et c’est effectivement le cas. Le récit a ceci d’intéressant que, comme Jacaranda de Faye, sorti récemment, il nous décrit le drame, oui, mais aussi ses conséquences, à court, moyen et long termes : les camps de réfugiés, les erreurs des français, le travail de reconstruction (et de pardon), la modernisation, les trafics, l’espoir… Marie-Ange est un modèle de droiture, d’abnégation et de pugnacité. Malgré la perte de toute sa famille dans des conditions atroces, elle garde le cap, puisant son énergie dans l’éducation de son fils et dans sa foi.
C’est un premier roman, qui souffre d’une écriture que je qualifierai de débutante, parfois de maladroite, notamment dans les dialogues, qui ne reflètent pas la spontanéité de l’oral. La notion religieuse m’a sérieusement ennuyée et le rebondissement, lorsque Jean-Jacques est incarcéré à Fresnes, en France, est déstabilisant. Au moment de la lecture, je me suis dit que c’était trop gros, vraiment. Que les retournements de situations étaient exagérés. Ceci étant, à une exception près, que je ne dévoilerai pas mais que j’ai trouvé beaucoup trop grosse, tout fait finalement sens, en ce que le génocide a poussé les citoyens au pire, sans se poser de questions sur l’avenir des gens et du pays.
En gros, même si la forme est parfois maladroite, qu’elle révèle un gros effort de rédaction mais pas assez d’accompagnement dans la correction, le fond est vraiment très fort. Ce roman pointe du doigts les responsabilités des uns et des autres, des personnes détenant un peu de pouvoir et cherchant à s’enrichir, les manigances et surtout le courage de cette femme qui aurait pu se laisser abattre mais qui a gardé la tête haute et à faire preuve d’un courage absolument formidable.
Très bel effort, M. Cortez, un gros potentiel se dégage de ce texte, fort et émouvant.
« Les peuples qui oublient leur passé sont toujours condamnés à le revivre. »
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