Mathieu Palain
« Je sais qu’il n’y a rien de moins intelligent qu’une foule, et je sais qu’il est facile de rejoindre ses rangs. »
Paris, années 2010. Jessie est dans sa quarantaine et son deuxième mariage. Elle est prof de maths au collège et a plus de facilité à gérer ses élèves que son fils, Marco, 15 ans. D’ailleurs, cela fait trois jours qu’il a disparu de la circulation. Il a dit avoir fait une demande d’émancipation et s’est barré avec sa copine. Lorsqu’il appelle Jessie, en pleine nuit, en lui demandant de venir le chercher, elle ne réfléchit pas, elle y va. Elle le récupère à une fête, ils déposent la petite amie chez elle et l’ado raconte. Il dit à sa mère ce qu’il a fait et qui a rendu Jade si mal. Alors les nerfs de Jessie craquent. Marco et elle sont dans une voiture, elle est au volant, elle a le pouvoir de renouer avec son fils, qu’il le veuille ou non. Au regard des actes de son fils, la mère de famille va dire ce qu’elle n’a jamais dit : ce qu’elle a subi, les choix qu’elle a fait, la vie qu’elle a eue. Pourquoi elle en est là aujourd’hui, avec un fils de 15 ans qui la déteste parce qu’il croit la connaître alors que non. Ce garçon qui n’a pas idée que Jessie a eu une vie bien remplie, et pas toujours très proprement, avant sa naissance, et même après.
Les kilomètres s’enchaînent et les confidences également. Il s’agit que Marco comprenne, qu’il sache que ce qu’il a fait aura des conséquences, pas seulement sur lui, d’ailleurs sur lui on s’en fout, mais sur Jade. Que ce qu’il s’est passé cette nuit peut conditionner la vie de cette jeune fille de la même manière que la vie de Jessie a pris une direction inattendue et malvenue après ses 18 ans.
Et puis il faut reconstruire le lien. Ce fils, c’est le sien. Cette mère, c’est la sienne. Et ce moment, c’est le leur. Jessie ne le laissera pas passer, parce qu’elle a laissé filer trop d’occasions, trop de moments sans lui, trop d’incompréhension, trop de découragement. Elle a baissé les bras, persuadée d’être une mauvaise personne, une mauvaise mère. Alors ce trajet, où qu’il les mène, sera celui de la reconnexion.
« Si tu savais le nombre de filles qui couchent avec des connards parce qu’elles crèvent d’être regardées… »
C’est le premier roman de Mathieu Palain que je lis et je dois dire que je suis soufflée. La justesse du ton, le désespoir de cette mère face à ce fils qu’elle ne contrôle pas, qu’elle ne connaît plus. Les secrets qui ont contaminé leur relation jusqu’à ce qu’elle soit complètement délitée. Cela rappelle, en certains points, Il faut qu’on parle de Kevin de Shriver mais, dans le désir de renouer, il y a aussi Continuer de Mauvignier. Ce garçon qui pourrait se perdre comme le fils dans Ce qu’il faut de nuit de Petitmangin, on a envie de lui mettre deux claques. Mais finalement, c’est Jessie qui a raison. C’est Jessie qui sait qu’il doit savoir, qu’il doit comprendre qui elle est et ce qu’elle a traversé. Parce qu’elle a beau avoir l’impression que tout fout le camp, elle reste la maman de ce jeune homme qui a beau tenter de la détester, n’en reste pas moins son garçon.
Les gens ne sont pas des vases communicants. On ne remplace pas les morts.
Quand on connaît les conditions d’écriture de ce récit, il revêt une dimension encore plus poignante, plus profonde. Ceci n’est pas une fiction, ceci ne sort pas de l’imagination de l’écrivain, ceci est la vraie vie, la vie dure et semée d’embûches de Jessie, avec son prénom de série TV, son profil de première de la classe et son traumatisme. C’est un parcours qui a dérapé et qui a eu des conséquences sur la jeune femme qu’elle a été, sur les relations qu’elle a pu construire (ou déconstruire), sur la mère qu’elle est devenue. Elle est paumée, Jessie, mais elle s’accroche tant qu’elle peut à ce qu’elle a : un mari pas très, une mère désinvolte, un père absent, un frère décédé et un fils qui la déteste. Heureusement, il y a les maths, au moins ça c’est indiscutable !
C’est une femme courageuse qui est mise en valeur par une écriture sans pathos, sans fard, sans apitoiement. C’est un roman à lire absolument pour se souvenir qu’on peut être une bonne personne même quand on a touché le fond et qu’on a l’impression qu’on arrivera jamais à remonter. Jessie remontera, elle en a la force et le courage…
« Les secrets sont des tumeurs. S’ils ne sont pas traités, ils grossissent, grossissent, jusqu’à devenir incontrôlables. »
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