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Les mains du miracle

Joseph Kessel

« Quand on ne peut rien à quelque chose, (...) y penser n'est que perte de tempes. »

A la fin des années 1950, le journaliste et écrivain Joseph Kessel est présenté à Felix Kersten par l’entremise d’amis communs. Cet homme, né en Estonie, fils d’agronome, n'était pas destiné à faire de grandes choses, et pourtant. Hospitalisé à Helsinki, il demande la nationalité finlandaise et y apprend le métier de masseur. Il a un don. Mais il apprend vraiment l’art thérapeuthique avec le Dr Kô (lama tibétain) dont il est le disciple pendant trois ans. A l’issue de cette formation, Félix est le meilleur dans son domaine et se fait une réputation en Allemagne, et aux Pays-Bas. 

Bon vivant, il ne s'intéresse aucunement à la politique et voit d’un oeil absent la montée en puissance d’Hitler et du parti nazi. Jusqu’à ce qu’il soit appelé au chevet d’Himmler. Le Reichsführer, maître absolu des S.S., est malade. Il souffre de maux de ventre terribles et ne veut absolument pas que cela se sache. Kersten, du bout des doigts, arrive à dénouer les nerfs, relaxer les tensions  et soulage ainsi le criminel de guerre. 

Il ne faut que quelques mois au médecin pour prendre conscience de l’influence qu’il a sur Himmler, d’autant plus lorsque ce dernier est en crise. Alors, petit à petit, il va demander, en guise de paiement, des vies. Des hollandais, des témoins de Jéhovah, des scandinaves, des juifs… Son emprise sur le Reichsführer dérange certains, notamment Heydrich et Kaltenbrunner, chefs de la SS. Mais le bon gros docteur sait aussi s’entourer : Brandt, le secrétaire particulier du ministre, le colonel Walter Schellenderg et le général Berger, collaborateurs très proches d’Himmler et néanmoins opposés aux mesures d’extermination. Par le massage et grâce à un réseau toujours plus élargi, allant de la Finlande à la Suède en passant par la Suisse ou la Hollande, Kersten prend toujours plus de risques pour extorquer à Himmler des privilèges, non pour lui mais pour les victimes du nazisme. 

On estime à 100 000 le nombre de personnes sauvées par les mains du Dr Kersten, dont 60 000 juifs. Son coup d’éclat restant d’avoir persuadé le Reichsführer de désobéir à Hitler et de ne pas faire sauter les camps à l’approche des alliés.

 

« Les guerres passent, la terre reste…. »

L’Histoire est définitivement pleine de héros, connus ou non, de personnes sans grande ambition grâce à qui des centaines, des milliers de vies ont été sauvées. Kersten est de ceux-là. Épicurien, centré sur son plaisir et sur son métier, il a eu la sagesse de ne pas faire de différence entre les malades. Ce qui l’a mené aux QG d’Himmler et lui a permis d’obtenir de cet assassin de guerre une amitié sincère et des faveurs sans prix. 

Sous la plume de Kessel, on fait la connaissance de cet homme qui voulait absolument se protéger de la vie politique et de ses soucis, après avoir vu et subi les ravages de la guerre et combattu dans l’armée finlandaise en 1919. Le journaliste nous dresse un portrait attachant du masseur, dépassé par ses pouvoirs et son influence et néanmoins décidé à faire respecter ses valeurs humanistes, même au plus cruel des hommes, Himmler. 

Ce dernier est mis à nu : ancien instituteur, de constitution frêle, pleutre et adorateur d' Hitler, il est dépeint comme un petit homme anxieux, malade, facilement manipulable, à condition de connaître ses faiblesses, que Kersten apprend très vite à déceler. Kessel ne cache rien de la folie du Führer (dû à une syphilis mal soignée) et de la démence de son entourage. Les papiers qu’il a eu entre les mains et sous les yeux lui ont permis de vérifier les dire de Kersten et de son entourage et c’est avec un souci de clarté et de transparence qu’il a romancé les années de cures d’Himmler, de manière à ce que toutes les tractations et manigances du Docteur soient connues de tous. Bien sûr, moins de 15 ans après la fin de la guerre, la blessure est toujours à vif dans cette écriture, mais c’est ce qui donne encore plus de valeur et de beauté au combat du masseur, mort peu de temps après la parution de ce roman historique et véridique, passionné et passionnant sur un homme pas comme les autres, décidé à berner et à manipuler ce que l’humanité à engendrer de pire, pour en tirer le meilleur possible. 


« La fidélité n’est plus la fidélité quand, du service d’un homme sain, elle passe au service d’un fou… . »

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